Vers une nouvelle Société franco-manitobaine

Le drapeau franco-manitobain.Archives #ONfr

[CHRONIQUE]

De l’autre bord des Rocheuses, j’observe avec fascination (et envie!) une francophonie manitobaine en pleine mutation. Voilà qu’après les États généraux de la francophonie manitobaine, la Loi sur l’appui à l’épanouissement de la francophonie manitobaine, je prends connaissance d’un rapport, rendu public mercredi 12 avril dernier, qui propose une refonte de la Société franco-manitobaine (SFM). La réforme proposée est-elle cependant bien avisée?

REMI LÉGER
Chroniqueur invité
@ReLeger

Les plus fins observateurs parmi vous auront remarqué que la Société franco-manitobaine a dévoilé, mercredi 12 avril, le rapport final de son comité de refonte. Ayant pour mandat « d’évaluer et d’étudier l’ensemble de la SFM », le comité n’a pas chômé depuis sa création il y a à peine six mois. Son rapport final fait plus de 60 pages et comprend 16 recommandations.

Trois thèmes

À mon sens, les recommandations du comité se découpent en trois thèmes. En premier lieu, une série de recommandations visent à rendre l’organisme porte-parole plus inclusif et représentatif de la francophonie manitobaine dans toute sa diversité. La SFM doit parvenir à lever les distinctions binaires francophone/francophile, écoles françaises/programmes d’immersion, langue première/langue additionnelle et plutôt œuvrer à représenter et célébrer tout ce qui est « français » au Manitoba.

En substance, le comité de refonte propose un nouveau nom ainsi qu’une révision de la vision, la mission et les valeurs de l’organisme. Le comité estime que Société de la francophonie manitobaine, plutôt que Société franco-manitobaine, enverrait un signal « d’ouverture et d’inclusivité » à la grande population francophone de la province. Les thèmes de la diversité et de l’inclusion reviennent aussi dans la vision et les valeurs de l’organisme.

En deuxième lieu, le comité pose les bases d’une nouvelle gouvernance de la francophonie manitobaine. Plus directement, il propose cinq types de membres, un conseil d’administration composé de 21 personnes, quatre comités permanents et un forum annuel qui convoque l’ensemble des francophones de la province. La réforme est ambitieuse.

En troisième lieu, plus en retrait mais tout aussi important, le rapport insiste pour que la SFM réinvestisse son rôle de représentation et de revendication politiques. L’organisme doit défendre les intérêts de la francophonie manitobaine en mobilisant les forces vives et en investissant les canaux politiques qui lui sont offerts.

Des questionnements

La nouvelle gouvernance proposée par le comité de refonte a de quoi surprendre. J’ai d’abord été étonné par le nombre de membres au conseil d’administration (21), dont quatre seulement sont élus par l’assemblée annuelle. À l’heure des critiques de plus en plus acerbes de la bureaucratisation des organismes francophones, difficile d’envisager une gouvernance plus lourde et bureaucratique.

Ensuite, les trois sièges réservés aux « grands piliers institutionnels francophones au Manitoba » soulèvent plusieurs questions. Par exemple, comment expliquer que deux directions générales (celles de la Corporation catholique de la santé et de la Division scolaire) aient droit de vote? Cela est typiquement interdit dans les organismes communautaires francophones.

Des sièges sont aussi réservés pour six « clientèles spécifiques ». C’est donc dire que le Conseil jeunesse provincial a son propre siège mais pas l’Association des juristes d’expression française ou le Centre culturel. Je n’ai rien contre les jeunes, je suis moi-même un produit du réseau jeunesse, mais cela fait curieux de réserver des sièges pour certains mais pas pour d’autres.

Le rapport comporte aussi une tension inhérente autour de la diversité et de l’inclusion. D’une part, le comité estime que la SFM doit refléter la diversité des groupes, des réalités et des accents qui caractérisent la francophonie manitobaine contemporaine. Dans le but de se défaire des divisions et des catégories de francophones, il propose un changement de nom et une révision de la mission, la vision et les valeurs de l’organisme porte-parole.

D’autre part, le rapport final propose de réserver des sièges aux « francophiles » et aux « nouveaux arrivants ». Cela donne l’impression que la diversité de la francophonie manitobaine s’exprime seulement dans certaines « clientèles spécifiques » et non pas à travers le monde associatif. En lisant le rapport des États généraux, j’avais plutôt eu l’impression que tous les organismes communautaires, du théâtre au sport en passant par le patrimoine, devaient participer au projet de la diversité et de l’inclusion.

En terminant, permettez-moi une question : est-ce que « franco-manitobain » empêche véritablement l’accueil, l’intégration et la rétention des immigrants? En d’autres mots, le nom Société de la francophonie manitobaine est-il plus inclusif que Société franco-manitobaine?

Partout en francophonie canadienne, nous nous devons de réfléchir sérieusement à l’incidence de remplacer « franco-manitobain », « franco-ontarien » ou « acadien » par francophone tout court.

De mon bord, je suis d’avis que le terme francophone tout court évacue nos histoires et nos luttes qui donnent pourtant un sens et une pesanteur à nos revendications contemporaines. La discussion est lancée.

Rémi Léger est professeur en sciences politiques à l’Université Simon Fraser, à Vancouver.

Note : Les opinions exprimées dans les chroniques publiées sur #ONfr n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.