Verre à moitié plein ou vide pour la francophonie?

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[CHRONIQUE]

Justin Trudeau a dévoilé son cabinet le 4 novembre dernier. Pour rappel, les traits marquants sont la parité hommes-femmes, du sang neuf, avec seulement six ministres ayant déjà siégé au cabinet et le retour du Québec et de l’Ontario dans les loges du pouvoir à Ottawa, avec la nomination de 17 ministres issus de ces deux provinces.

REMI LÉGER
Chroniqueur invité

Plus globalement, un vent de changement souffle désormais sur Ottawa. Le premier ministre désigné et son cabinet, rompant avec la tradition, sont arrivés à la cérémonie d’assermentation en marchant et non à bord de limousines. La nouvelle équipe ministérielle a été chaudement applaudie par le public qui, pour la première fois, avait été officiellement invité à assister à l’événement. Autre signe de changement, la place accrue des nouveaux médias, comme en atteste le Google Hangout tenu par le premier ministre immédiatement après son assermentation.

Dans l’ensemble, M. Trudeau semble avoir tenu sa promesse de « voies ensoleillées » pour l’avenir du pays, faisant place à une nouvelle génération de leaders, représentant le Canada dans toute sa diversité.

Le verre à moitié vide

Pourtant, du côté de la francophonie canadienne, la cérémonie d’assermentation a suscité son lot de questions et d’inquiétudes. En effet, le nouveau cabinet a plutôt été vu sous l’angle du verre à moitié vide.

Tout d’abord, la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada s’est rapidement dite étonnée qu’aucun ministre ne porte le titre de Responsable des langues officielles. Une absence que l’organisme porte-parole des francophones en milieu minoritaire a qualifiée de « drôle de message » pour la francophonie canadienne. Un peu plus tard dans la journée, le gouvernement a toutefois confirmé que la nouvelle ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, hérite aussi du dossier des langues officielles, sans toutefois rajouter cette responsabilité à son titre.

De plus, un seul francophone hors Québec figure au sein du cabinet, l’Acadien Dominic LeBlanc, qui devient Leader du gouvernement, un rôle qui n’est accompagné d’aucun portefeuille. Le député ottavien Mauril Bélanger, qui a déjà été Responsable des langues officielles, ou les nouveaux venus, tels Randy Boissonnault (Edmonton-Centre), Dan Vandal (Saint-Boniface-Saint-Vital), Paul Lefebvre (Sudbury) ou encore, Ginette Petitpas-Taylor (Moncton-Riverview-Dieppe), n’ont obtenu aucune responsabilité ministérielle au sein du nouveau gouvernement.

Enfin, la déception réside aussi dans le dossier immensément important de l’immigration francophone, dans lequel le nouveau ministre, John McCallum, n’est pas perçu comme un grand défenseur de la francophonie, ni comme un expert du dossier de l’immigration et de l’intégration des immigrants dans les communautés francophones à travers le pays.

Le verre à moitié plein

Cependant, tout espoir n’est pas perdu. En effet, je suis d’avis que l’on doit plutôt voir le nouveau cabinet sous l’angle du verre à moitié plein. En premier lieu, la plupart des ministères touchant de près à la francophonie canadienne sont à la charge de ministres francophones ou bilingues. Mme Joly, la nouvelle ministre du Patrimoine canadien est francophone, jeune et, encore plus important, une proche du premier ministre. Plusieurs commentateurs la considèrent comme une vedette montante du Parti libéral du Canada.

Le nouveau ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, M. McCallum est un vétéran de la politique fédérale, ayant été élu pour la première fois en 2000, et s’exprime couramment en français. Ministre expérimenté, ce dernier comprend le fonctionnement de la machine gouvernementale et pourrait donc, contre toutes attentes, être la personne toute désignée pour porter à terme le dossier complexe de l’immigration francophone, en assurant le respect des cibles établies.

De son côté, Dominic LeBlanc hérite d’un rôle important au sein du nouveau gouvernement. Sa nomination à titre de Leader parlementaire est une belle marque de confiance. Chargé de la planification et de la gestion de l’agenda gouvernemental, il ne fait nul doute que M. LeBlanc sera un joueur clé au sein du cabinet. Par ailleurs, selon Jane Taber, journaliste au Globe and Mail, M. LeBlanc serait « le bras droit du premier ministre » (‘Trudeau’s right-hand man’), ainsi que « le vice-premier ministre de fait » (‘de facto deputy prime minister’). Reste à voir désormais si ce dernier sera sensible et ouvert aux revendications et aux doléances des Acadiens, ainsi que celles des francophones ailleurs au pays.

Enfin, il ne faut surtout pas sous-estimer Stéphane Dion. Immensément adroit et habile, ce père du premier Plan sur les langues officielles, que l’on nomme communément le « Plan Dion », fait son retour au cabinet à titre de ministre des Affaires étrangères. Aucun député à Ottawa ne connaît mieux le dossier des langues officielles que M. Dion. Ce dernier est un grand allié de la francophonie canadienne ainsi qu’un fervent défenseur de l’esprit – et non pas seulement la lettre – de la Loi sur les langues officielles.

Au final, quelques signaux en matière de langues officielles et de francophonie canadienne sont attendus durant les prochaines semaines. On pourra les surveiller notamment lorsque Justin Trudeau procédera à la nomination des secrétaires parlementaires ou, d’autre part, lors de son discours du Trône, le 4 décembre prochain.

Rémi Léger est professeur en sciences politiques à l’Université Simon Fraser, à Vancouver.

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