Une « surprenante » campagne en Alberta

La leader du NPD, Rachel Notley, pourrait prendre le pouvoir, mardi soir.

EDMONTON – L’Alberta retient son souffle à quelques heures d’un scrutin peut-être historique. Et pour cause, les progressistes-conservateurs aux commandes de la province depuis 1971 pourraient être chassés du pouvoir.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @SebPierroz

Le premier ministre Jim Prentice pointe toujours après quatre semaines de campagne derrière le Wildrose et les néo-démocrates dans les intentions de vote. Un mauvais coup pour celui qui occupe la fonction depuis septembre dernier à la suite de la démission d’Alison Redford en mars 2014 suivit par le court intérim de Dave Hancock.

« C’est effectivement une campagne surprenante, et laquelle devait être plus facile pour les conservateurs », analyse Fréderic Boily, professeur de sciences politiques à l’Université de l’Alberta.

« La présentation récente du budget a créé beaucoup d’insatisfaction. La droite (le Wildrose) a déclaré peu après que les coupes n’étaient pas assez fortes, tandis que la gauche (le Nouveau Parti démocratique) avait dénoncé le manque d’investissement en éducation et en santé. Du coup, M. Prentice se trouve coincé entre deux critiques. »

Au-delà des divisions budgétaires, l’ancienne première ministre Alison Redford n’est pas parvenue à contenter la frange centriste des conservateurs, estime M. Boily. « La grogne anti-conservatrice s’est attisée sous ses trois ans de mandat. L’approche libérale et plus axée sur la santé de ces centristes n’a pas été écoutée. Du coup, les électeurs se tournent vers le NPD. »

 

Gauche renaissante

Car le parti orange et sa leader Rachel Notley ont passé l’essentiel de la campagne à grimper dans les sondages. Dynamisée par sa bonne prestation lors du débat, le 23 avril, la députée d’Edmonton-Strathcona a récolté des intentions de vote historiques. Un dernier sondage publié dimanche 3 mai donnait même le NPD gagnant avec 42% des voix.

L’image d’une Alberta tournée vers le Stampede de Calgary et résolument conservatrice, reste un cliché à balayer d’après M. Boily : « Les idées de gauche ont toujours existé dans la province, mais elles étaient jusqu’à maintenant divisées, et le NPD ne parvenait pas à les canaliser. Il faut aussi comprendre que l’Association progressiste-conservateur, au pouvoir depuis plus de 40 ans, contrôle certains instruments électoraux lui permettant de durer. »

Élimination de la taxe santé, hausse de l’impôt sur les entreprises de 2%, ou encore la promesse de la création de 27 000 emplois, Mme Notley n’a cessé au cours de la campagne de se démarquer de M. Prentice et du chef du Wildrose, Brian Jean.

Alors que la chute du prix du pétrole a grandement affecté les gains de la province, la leader du NPD continue de militer pour le développement des industries de transformation induites par les revenus pétroliers. « Le NPD de l’Alberta s’est réconcilié avec l’industrie pétrolière », note M. Boily.

 

Francophonie

Toujours est-il que les 100 000 francophones de la province suivront avec attention la campagne. Si cet échantillon d’électeurs favorise le Parti libéral à l’échelle fédérale, rien n’est moins certain au provincial. « Les francophones sont dans l’incertitude. Ils ont tissé des liens de confiance avec des députés conservateurs à Edmonton qui pourraient perdre des sièges », laisse entendre le politologue.

Du côté de l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA), le scrutin indécis alimente bel et bien quelques craintes. « On ne veut pas d’un gouvernement minoritaire, qui nous (l’ACFA) obligerait à négocier avec trois partis », prévient son président Jean Johnson, qui qualifie au passage Mme Redford de « pire première ministre » qu’ait connue l’Alberta.

En février dernier, les revendications des Franco-Albertains avaient résonné jusqu’à Ottawa lorsque les neuf juges de la Cour suprême entendaient la cause Caron. Un dossier vieux de douze ans portant sur le caractère unilingue anglophone de l’Alberta et de la Saskatchewan gravé dans le marbre depuis 1988.

« Nous profitons de la campagne pour une tournée à travers la province et donner les véritables informations sur la cause Caron », explique M. Johnson. « La campagne ne comporte pas vraiment d’enjeux francophones », se désole quant à lui M. Boily.

L’Alberta reste l’une des provinces les moins avancées en matière de droits pour les francophones. Quelques lois sont traduites, mais les procès civils sont uniquement donnés dans la langue de Shakespeare. La province compte par ailleurs une trentaine d’écoles francophones.