Un « bon départ » pour favoriser l’immigration francophone

Sue Duguay, William Burton, Kelia Wane et Cassidy Villeneuve. Montage #ONfr

OTTAWA – Le nouveau programme pour faciliter l’accueil de nouveaux arrivants dans les communautés francophones en situation minoritaire entre en vigueur le 1er juin. L’objectif : permettre au gouvernement fédéral d’atteindre enfin sa cible de 4,4% d’immigration francophone hors Québec d’ici 2023.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

L’annonce du retour du programme Avantage significatif francophone (ASF), le 17 mars dernier, avait été accueillie avec enthousiasme par les communautés francophones en situation minoritaire.

Deux mois et demi plus tard, la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada salue la rapidité avec laquelle le gouvernement libéral a répondu à la demande.

« On a senti une réelle volonté du ministre John McCallum et de son ministère Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. C’est très encourageant! », note la présidente Sylviane Lanthier.

Pour le député ontarien et secrétaire parlementaire du ministre de l’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), Arif Virani, il était important de revenir sur la décision contestée du gouvernement de Stephen Harper de supprimer l’ASF en septembre 2014. À l’époque, une partie des députés conservateurs craignait que les employeurs n’utilisent le programme pour embaucher des étrangers plutôt que des Canadiens.

« Cette décision avait été prise sans aucune consultation! », fustige M. Virani. « Nous avons écouté les demandes des communautés francophones à travers le pays. De plus, ce programme s’inscrit dans la volonté de notre gouvernement de développer la connaissance des deux langues officielles et la francophonie à travers le Canada. »

Nouveaux critères

Baptisé « Mobilité francophone », ce nouveau volet du Programme de mobilité internationale diffère quelque peu du défunt programme ASF.

Comme son prédécesseur, sa principale caractéristique est d’offrir un permis de travail temporaire plus facilement et rapidement aux francophones qualifiés qui souhaiteraient s’établir dans une communauté francophone en situation minoritaire et de dispenser les employeurs qui voudraient les embaucher d’une étude d’impact sur le marché du travail (EIMT).

« C’est un avantage important car même si les employeurs sont motivés pour embaucher des francophones, un EIMT coûte près de 1000 $, ce qui représente un gros investissement pour un emploi temporaire. C’est un gain de temps et d’argent », note la coordonnatrice du Réseau de soutien à l’immigration francophone de l’Est de l’Ontario, Brigitte Duguay Langlais.

Pour parvenir à cette nouvelle version, IRCC a collaboré avec la FCFA et les Réseaux en immigration francophone (RIF) afin d’apporter plusieurs améliorations, selon Mme Lanthier.

« D’une part, le programme comprend des mesures d’évaluation. D’autre part, la durée maximum de deux ans du permis de travail a été supprimée et dépendra désormais de la durée de l’offre d’emploi. De plus, les permis seront délivrés toute l’année et on nous a également assurés que le délai de traitement serait « raisonnable », ce qui nous semblait important. »

L’expérience accumulée pendant la durée du permis de travail pourra aussi être utilisée au titre « d’expérience canadienne » pour ceux qui voudraient ensuite demander leur résidence permanente, accroissant ainsi leur chance de pouvoir s’établir définitivement au Canada.

Si aucune limite n’est fixée en termes de quantité de permis de travail délivrés, certains métiers spécifiques restent toutefois non éligibles, ce que regrette la directrice Employabilité et Immigration du Réseau de développement économique et d’employabilité de l’Ontario (RDÉE Ontario), à Toronto, Valérie Sniadoch.

« Dans le nord de l’Ontario, nous avons une grosse demande d’employeurs qui cherchent des chauffeurs de poids lourds, mais ces métiers ne sont pas concernés. Il serait peut-être important de regarder aussi là où se trouvent les besoins de main d’œuvre. »

« On a vu beaucoup de gens repartir »

Toujours est-il que sur le terrain, la nouvelle du retour du programme est accueillie avec une grande satisfaction par Mme Sniadoch qui a travaillé pendant un an et demi à promouvoir le programme ASF.

« Ce programme avait eu le bénéfice d’atténuer la frilosité des employeurs canadiens à embaucher de la main-d’œuvre qualifiée immigrante, de par sa procédure simplifiée et sa rapidité d’obtention. »

Selon son expérience, les petites entreprises comme les grandes entreprises ont pu en bénéficier et ce, dans tous les domaines, de l’hôtellerie au tourisme, en passant par les technologies de l’information, l’ingénierie, les banques et l’éducation.

En 2013, 229 clients du RDÉE Ontario avaient bénéficié du programme ASF, et de janvier à septembre 2014, 202 personnes y avaient eu recours.

« Lorsqu’il a été supprimé, nous avons vu beaucoup de gens partir, découragés. Les employeurs ont recommencé à devenir réticents », remarque Mme Sniadoch.

Un constat que fait également la directrice générale de l’organisme torontois d’aide à l’intégration des nouveaux arrivants, La Passerelle Intégration et Développement Économique, Léonie Tchatat.

« C’est un programme qui était populaire pour les jeunes francophones qui voulaient se faire une idée du Canada avant de choisir ou non de s’y installer, mais aussi pour le Canada qui a profité de leurs compétences. »

La coordonnatrice du Réseau en immigration francophone du Nouveau-Brunswick, Yvette Bourque, regrette le temps perdu.

« Quand le programme Avantage significatif francophone a été supprimé, ça a été une surprise. Il commençait enfin à bien fonctionner! »

Le défi de la rétention

Bien que le programme ASF ait été suspendu il y a presque deux ans, Mme Sniadoch se dit confiante que tout n’est pas à refaire.

« Je dirais que 50% du travail de promotion est déjà fait. On va juste s’assurer de faire connaître « Mobilité francophone » aux entreprises et aux candidats qui ne connaissaient pas Avantage significatif francophone et de s’assurer d’avoir tous les détails. »

Mme Dugay Langlais assure connaître déjà plusieurs entreprises intéressées à en savoir plus du côté de Kingston. Pour sa part, Mme Sniadoch a été questionnée par plusieurs candidats potentiels.

Malgré l’optimisme et l’enthousiasme des intervenants francophones, Mme Lanthier reconnaît que le programme « Mobilité francophone » ne règlera pas tous les problèmes en matière d’immigration francophone.

« Le problème, c’est qu’on utilise un programme temporaire pour des gens que l’on voudrait voir s’installer en permanence », souligne-t-elle.

De fait, de 2012 à 2014, sous le programme ASF, 1800 permis de travail avaient été délivrés et à la fin de 2015, seulement 309 personnes qui étaient venues temporairement au Canada de cette façon étaient devenues des résidents permanents, selon les chiffres d’IRCC, obtenus par #ONfr.

« Le nouveau programme doit faire partie d’un tout », suggère Mme Bourque. « C’est sûr que ça va aider à accueillir plus de francophones dans nos communautés mais pour que ce soit profitable, il faut ensuite leur offrir les conditions de s’y plaire pour qu’ils restent. »

Un enjeu d’autant plus important que M. Virani indique que le gouvernement fédéral compte sur le programme pour atteindre 4% d’immigration économique francophone hors Québec en 2018, et 4,4% d’immigration francophone toutes catégories confondues en 2023.

« Notre but, c’est que les gens s’installent. Pour cela, nous voulons continuer à travailler avec les organismes et les provinces pour trouver des solutions. »

La présidente de la FCFA reconnaît qu’il y a encore du chemin à faire.

« L’objectif, c’est que l’immigration renforce et aide à assurer la pérennité de nos communautés. Il y a encore des discussions à avoir entre le fédéral, les provinces et les communautés. Mais on sent une bonne volonté. »