Trop d’anglophones dans les écoles francophones?

Une lettre a été envoyée au gouvernement et aux conseils scolaires francophones pour dénoncer la présence de nombreux anglophones au sein des écoles de langue française Crédit: photomontage #ONfr

TORONTO – Quatre décennies après le combat de parents de Penetanguishene pour obtenir une école de langue française, l’un de leurs leaders se lève à nouveau pour dénoncer, dans une lettre à l’intention du gouvernement et de conseils scolaires, l’assimilation des jeunes au sein même des écoles francophones. Un pavé dans la mare qui fait réagir des parents francophones, alors que le gouvernement ne semble pas préoccupé outre mesure. 

ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER
efgauthier@tfo.org | @etiennefg

JEAN-FRANÇOIS MORISSETTE
jmorissette@tfo.org | @JFMorissette72

« En tant que parents, nous avons droit à ce que nos enfants soient éduqués dans un milieu respectueux du français langue première et non dans un milieu reflétant la promotion du français langue seconde, rôle qui revient aux écoles d’immersion. Les parents responsables qui parlent à leurs enfants en français à la maison ne les envoient pas à l’école pour les voir se faire angliciser », écrit Basile Dorion, qui a été aux premières loges lors de la crise linguistique de 1979 à Penetanguishene. À l’époque, il a participé à mettre sur pied une école illégale francophone pour dénoncer l’assimilation des jeunes francophones au sein de l’école bilingue de la communauté.

Près de 40 ans plus tard, il fait le constat que les écoles francophones de l’Ontario ne permettent pas aux élèves francophones de vivre pleinement leur identité et leur langue, voire pire, ils sont à risque de les perdre. « Dans le contexte scolaire et social, les enfants francophones qui se retrouvent minoritaires à l’école ou en salle de classe sont parfois ostracisés, voire intimidés; ils ne se sentent pas normaux et, la plupart du temps, imitent la majorité et communiquent uniquement en anglais pour faire partie du groupe », note l’ancien conseiller scolaire dans sa missive envoyée au gouvernement et aux conseils scolaires.

« En Ontario, les parents qui sont des « ayants droit » peuvent envoyer automatiquement leurs enfants dans des écoles francophones. Pour ce faire, ils doivent avoir le français comme langue maternelle ou avoir reçu une instruction en français au niveau élémentaire ou secondaire » – Gouvernement de l’Ontario

La lettre fait référence à l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés et affirme que la situation actuelle est en contradiction avec celle-ci. M. Dorion fait trois propositions pour régler la problématique.

  • Réduire considérablement l’admission de non-ayants droits dans les écoles francophones en modifiant leurs critères d’admission
  • Accorder immédiatement la permission aux parents qui en font la demande d’inscrire leurs enfants à une école plus française dans leur région et payer le transport de ces élèves vers ces écoles
  • Faire parvenir chaque début d’année scolaire une lettre à tous les parents pour leur suggérer des activités à la maison et dans la communauté qui appuie l’école en ce qui a trait à la langue française

Basile Dorion explique en entrevue que la situation le trouble depuis plusieurs années. « J’ai cinq petits-enfants et je vois les conséquences de l’assimilation. Il y a des classes où la quasi-totalité des enfants ne parlent pas français! », dénonce-t-il. « Les conseils scolaires essayent de grossir leurs rangs et ils vont chercher des anglophones. C’est une mauvaise décision », ajoute-t-il.

Une décision des conseils scolaires, indique Marie-France Lalonde

La ministre déléguée aux Affaires francophones de l’Ontario, Marie-France Lalonde, note qu’il existe une politique au sein des conseils scolaires de langue française pour donner « la priorité aux jeunes étudiants francophones ». Sans engager l’Office des Affaires francophones dans le dossier, Mme Lalonde lance la balle du côté des conseils scolaires.

« Cette politique réside au sein des conseils scolaires, c’est à eux de prendre la décision », insiste-t-elle.

« De voir un parent anglophone choisir un système d’écoles francophones, c’est intéressant. Ça démontre un symbole fort pour immerger une élève anglophone dans la culture francophone », ajoute-t-elle.

Questionnée par #ONfr, Mme Lalonde n’a pas voulu dire si la politique actuelle des ayants droit était problématique.

« La loi ne veut pas discriminer un parent d’élève par rapport à sa langue parlée et c’est vraiment la décision des conseils scolaires », a martelé la ministre Lalonde.

Au moment de mettre en ligne, le conseil scolaire Viamonde et le conseil scolaire catholique Mon Avenir, visés par la missive de Basile Dorion, n’étaient pas en mesure de commenter la nouvelle.

Le commissaire aux services en français, Me François Boileau, est à étudier la lettre envoyée par Basile Dorion. Il pourrait réagir au cours des prochaines heures, fait savoir son bureau.

Plus de ressources en francisation nécessaires

La présence grandissante d’élèves anglophones au sein des conseils scolaires francophones est sur le radar de la Commission nationale des parents francophones depuis un bon moment. Une position officielle a d’ailleurs été adoptée sur la question, récemment.

« Ce qu’on considère comme des élèves anglophones, ce sont bien souvent des ayants droit et ils ont le droit, en vertu de la Charte, d’être dans écoles francophones. Il peut cependant arriver que des écoles accueillent des élèves anglophones. Selon nous, cela devrait être l’exception uniquement si des places sont vacantes », souligne Jean-Luc Racine, son directeur général.

Dans le cas des frères et sœurs anglophones d’un enfant qui a étudié en français à la maternelle? « Ils ont le droit à l’éducation en français. La Charte des droits et libertés est claire à ce sujet. C’est leur droit », tranche-t-il.

« La clé, c’est d’avoir des ressources pour faire la francisation et de motiver les jeunes à parler français », insiste-t-il, soulignant qu’il en faudrait plus dans certaines écoles. M. Racine souligne néanmoins que des bénéfices peuvent découler de la présence d’anglophones, désirant apprendre le français, dans des écoles franco-ontariennes. « Je parle d’un effet réparateur. Nous avons perdu plusieurs francophones, c’est vrai. Mais nous pouvons faire grandir notre communauté en donnant l’amour de notre langue à ces jeunes anglophones. J’en connais, qui ont fréquenté nos écoles, et qui vivent aujourd’hui en français et envoient leurs enfants dans des écoles francophones », souligne-t-il.