Thierry Lasserre, de l’Ontario français à la… Chine francophone

Thierry Lasserre, récipiendaire de l'Ordre de la Pléiade de l'Ontario, en compagnie de la députée conservatrice Gila Martow et de la libérale Marie-France Lalonde Crédit image: Twitter de Gila Martow

[LA RENCONTRE D’ONFR] 

TORONTO – Après un passage remarqué en Ontario français, Thierry Lasserre s’est fait offrir la direction des Alliances françaises de la Chine et de la Mongolie. Inspiré par ses années en sol torontois, il compte maintenant faire découvrir le français et la culture francophone à encore davantage de Chinois.

ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER
efgauthier@tfo.org | @etiennefg

« Vous avez dirigé pendant quatre ans de l’Alliance française de Toronto. Qu’est-ce qui motive votre départ vers la Chine?

J’ai vécu mes plus belles années professionnelles à Toronto. On a fait des choses incroyables avec l’équipe. Mais c’était un mandat de quatre ans. J’étais mis à la disposition de l’Alliance française de Toronto par le ministère des Affaires étrangères de la France. Et il faut croire que j’ai fait du bon boulot à Toronto, car on m’a offert de diriger les Alliances françaises de la Chine et de la Mongolie. C’est le plus gros réseau des Alliances avec 600 employés dans 19 villes, 45 000 élèves et 1 million de spectateurs pour les programmes culturels. Mais ça demeure très difficile de partir. C’est un déchirement, même si c’est un honneur de se faire offrir une si belle mission.

En seulement quatre ans, vous avez l’impression d’avoir pu atteindre vos objectifs pour l’Alliance française de Toronto?

Absolument. Avec l’équipe, on est passé de 4 500 à 7 000 étudiants qui apprennent le français. Le nombre de spectateurs pour la programmation culturelle a explosé. En ce qui concerne les employés, on est passé de moins d’une centaine à plus de 150. J’ai un sentiment de fierté et de devoir accompli. J’ai été heureux de voir les gens venir aux concerts en français et de pouvoir développer autant de partenariats avec la communauté franco-ontarienne. Nous avons aussi ouvert l’Alliance à la francophonie. Aujourd’hui, 50 % de la programmation culturelle est canadienne, 40 % est internationale et seulement 10 % est française.

Vous étiez de toutes les activités francophones à Toronto et avez été très impliqué dans la communauté pendant votre séjour. Vous avez même obtenu l’Ordre de la Pléiade du gouvernement ontarien. Que retenez-vous de la francophonie ontarienne?

En seulement quatre ans, elle a énormément changé. Quand je suis arrivé en 2013, je trouvais la communauté très revendicatrice. Aujourd’hui, c’est plus constructif et inclusif. Il y a un tas d’organisations qui font un travail incroyable, qu’on pense au Conseil de la coopération de l’Ontario, à la Passerelle I.D.É ou au Centre francophone, notamment. Le fait que l’Ontario a été reconnu au sein de l’Organisation internationale de la Francophonie, ça a été une belle bataille. La francophonie ontarienne a su se moderniser et suivre les grandes tendances, qu’on parle d’inclusivité, d’écologie ou d’autres grandes valeurs. Humblement, j’ai essayé de faire ma part.

L’Ontario français semble demeurer très proche de votre cœur. Comptez-vous utiliser tous ces contacts faits ici également dans vos nouvelles tâches?

Sans aucun doute. Il n’y a pas une journée sans que j’envoie un courriel vers le Canada. Les liens sont encore présents. On souhaite créer des partenariats entre des élèves français et des élèves franco-ontariens. Ça va prendre du temps, mais les contacts sont pris. Et nous avons d’autres projets avec  le Canada. J’ai rencontré du personnel des gens du bureau du Canada. Kathleen Wynne était en Chine récemment pour parler d’échanges économiques et d’immigration, il y a plusieurs pistes à explorer.

Au point de vue de l’immigration, comment le français peut-il jouer un rôle en Chine? Ça semble assez incongru.

Le Canada veut 1 million de nouveaux immigrants d’ici quelques années. L’Ontario souhaite que 6 % de ces immigrants soient francophones. Et bien, les Chinois l’ont compris. Ils sont très intéressés par le Canada et ils se rendent compte qu’ils peuvent avoir des points supplémentaires pour obtenir leur résidence permanente grâce à l’apprentissage du français. La Chine francophone est séduite par le français et les citoyens qui veulent vivre ailleurs voient toutes les portes que la langue peut ouvrir.

Comment vivez-vous votre adaptation en sol chinois et quel est votre mandat pour les Alliances françaises en Chine et en Mongolie, comme directeur?

Ça fait que trois mois que je suis arrivé. Les 15 premiers jours ont été excessivement difficiles. J’avais l’impression d’être un analphabète, je ne comprenais rien. Mais les Chinois sont très gentils, très chaleureux. C’est un pays qui mêle tradition et modernisme. Mon mandat est de faire la promotion de la langue française et des cultures francophones. Je veux rendre la francophonie chinoise plus internationale, comme je l’ai fait au Canada. Nous avons un impact grâce à nos différents bureaux, mais aussi grâce à la tournée Mars en folie. Il s’agit d’une tournée de concerts des francophonies. Nous travaillons de pair avec les ambassades de Belgique, du Canada et de Suisse, ainsi que les bureaux du Québec et de la Wallonie-Bruxelles. Ça regroupe en tout 70 000 spectateurs et c’est une vitrine exceptionnelle pour le français dans le pays.

Quelle est la place du français en Chine?

Il y a beaucoup de francophones à Shanghai, à Pékin, à Hong Kong, mais aussi dans d’autres grandes villes. Je dirais environ un million de francophones et francophiles. Mais le potentiel est grand. Mais il ne faut pas croire que sur le milliard et demi, tous vont apprendre le français. Notre zone, ce sont les grandes villes et moins les secteurs ruraux, soit une population d’environ 350 millions d’habitants. Un peu comme la population de l’Europe, quoi! Récemment, une Alliance française a été ouverte à Kunming, dans le sud du pays. Il y a pour l’instant 200 francophones. Mais on constate un réel engouement en Chine pour le français. Pour preuve de sa popularité, je peux vous mentionner ce concours annuel du français organisé par la télévision chinoise. C’est impressionnant de voir la quantité de connaissances des jeunes Chinois qui y participent sur la francophonie d’ailleurs.

Comment expliquez-vous cet engouement?

Il y a trois raisons. D’abord pour les études. Le Canada, la France et le Maroc attirent les étudiants, donc ils apprennent le français pour pouvoir s’expatrier pour étudier. Ensuite, il y a des raisons économiques. La Chine est premier investisseur en Afrique. Et pour faire des affaires, il faut parler le français. Finalement, je constate peut-être un objectif plus profond : l’anglais étant présent partout, pour protéger le mandarin, on contrebalance l’hégémonie de l’anglais par le français. Notons également une raison historique : la France a été le premier pays à reconnaître la République populaire de Chine et c’est encore très important.

Dans plusieurs régions, on dit que le français est menacé. Après vos années en Europe, en Amérique et votre arrivée récente en Asie, quel regard portez-vous sur l’avenir de la langue?

Je ne crois pas que le français est menacé. Emmanuel Macron l’a encore dit. Si la démographie reste la même, le français pourrait redevenir la première langue du monde en 2050. Il y a un vrai appétit dans le monde pour le français. Il faut être fier de notre langue, mais attention de ne pas être dans un français exclusif, mais inclusif.

On vous reverra un jour au Canada? »

Il y a des projets que j’ai débutés et j’espère qu’on m’invitera pour leur dévoilement! Je pense notamment à la nouvelle galerie d’art. J’espère que l’Alliance française de Toronto va obtenir sa reconnaissance en vertu de la Loi sur les services en français pour pouvoir donner plus de cours aux immigrants et aux professeurs pour les classes d’immersion. D’un point de vue personnel, j’espère un jour revenir au Canada, car c’est mon pays de cœur. J’ai donné beaucoup à la francophonie ontarienne et elle m’a donné en retour. Si je reviens, j’aurais encore davantage d’expérience pour redonner davantage. En attendant, les Franco-Ontariens doivent savoir que je suis leur meilleur allié à Pékin! »


LES DATES-CLÉS DE THIERRY LASSERRE :

1973 : Naissance à Paris

1997 : Complète ses études Paris-Sud-Orsay

2004 : Effectue un séjour de 5 ans à New York pour y effectuer différents projets dans le public et le privé

2013 : Prend la direction de l’Alliance française de Toronto

2017 : Prend la direction des Alliances françaises de Chine et de Mongolie

Chaque fin de semaine, #ONfr rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.