Six questions sur la politique des services en français en Alberta

L'Alberta (ici Calgary) pourrait obtenir une politique sur les services en français. Archives

[CHRONIQUE]

L’Alberta aura sa politique sur les services en français. Le ministre de la culture et du tourisme, aussi responsable du Secrétariat francophone, Ricardo Miranda, a confirmé la chose samedi 15 octobre, dans le cadre du congrès annuel de la francophonie albertaine. Pourtant, de nombreuses questions demeurent toujours irrésolues, dont notamment les six suivantes.

REMI LÉGER
Chroniqueur invité
@ReLeger

 Au lendemain du malheureux échec de la cause Caron, le gouvernement albertain déclarait qu’il ne voulait surtout pas que la décision de la Cour suprême du Canada « définisse notre relation avec la communauté francophone de l’Alberta ». Presque un an plus tard, les bottines suivent les babines avec l’annonce d’une politique sur les services en français.

L’annonce du ministre représente une belle fenêtre d’opportunité pour la francophonie albertaine. D’abord parce que deux provinces seulement, l’Alberta et ma province adoptive, la Colombie-Britannique, n’ont toujours pas de loi ou de politique linguistique, et ensuite parce que des consultations précéderont la formulation de la politique.

En principe, la démarche proposée par le ministre donnera l’occasion aux forces vives de la francophonie albertaine de contribuer autant à la forme qu’au fond de la politique.

J’ai eu le plaisir d’assister au congrès annuel de la francophonie albertaine. À l’invitation de l’ACFA, l’organisme hôte de l’évènement, j’avais pour tâche d’alimenter la réflexion en présentant les bons et les moins bons coups réalisés dans le reste des provinces canadiennes. Cela me semble pertinent de revenir sur six questions qui, en mon humble avis, devront trouver résolution avant le dévoilement de la politique au printemps prochain.

Une politique ou une loi? La question est loin d’être anodine. La loi a un fondement législatif, ayant reçu l’approbation du législateur, tandis que la politique est administrative et typiquement issue d’une décision ministérielle. Pourtant, force est d’admettre qu’autant la loi que la politique peuvent être porteuses d’ouverture et de changements positifs pour une minorité linguistique.

Des services publics, that’s it? Loin de moi l’idée de réduire la portée d’un engagement envers les services publics en français. Pour l’essentiel, la prestation de services publics contribue à légitimer la langue française et ses locuteurs. Cependant, il faut aussi avoir la lucidité d’avouer que les services publics ne peuvent à eux seuls assurer l’épanouissement d’une minorité linguistique.

Quels secteurs ou enjeux? Les lois et les politiques linguistiques ne se valent pas. Par exemple, la loi ontarienne vise à assurer la prestation de services publics en français dans toute région désignée bilingue, tandis que la nouvelle loi prince-édouardienne identifie des secteurs prioritaires où la province est contrainte d’offrir des services dans la langue de la minorité. Ce n’est pas dire que la première est bonne, la seconde mauvaise, mais plutôt que la francophonie albertaine doit se faire une réflexion autour des objectifs de la politique sur les services en français.

Quel rôle pour la francophonie albertaine? Le rôle en aval de la francophonie albertaine étant connu – la politique sera formulée suite à des consultations publiques –, son rôle en amont reste à déterminer. À l’instar des exemples manitobain ou prince-édouardien, les francophones de l’Alberta souhaitent-ils un comité consultatif qui contribue à la mise en œuvre de la politique? Ou, ont-ils une préférence pour la loi néo-brunswickoise, qui précise la date par laquelle le premier ministre doit initier sa révision (le 31 décembre 2021)?

Quel rôle pour le Secrétariat francophone? Créé en 1999, le Secrétariat francophone va indubitablement occuper un plus grand rôle au lendemain de l’adoption d’une politique sur les services en français. D’une part, le Secrétariat francophone pourrait contribuer à la mise en œuvre de la politique en travaillant en collaboration avec les ministères ciblés. Par exemple, il pourrait appuyer le ministère de la justice dans la traduction de documents ou la création de services répondant aux besoins de la francophonie albertaine. D’autre part, son rôle pourrait être bonifié dans le sens d’un intermédiaire qui épaule les organismes communautaires dans le développement de partenariats et la signature d’ententes avec des ministères albertains.

Qui est chargé de la mise en œuvre? Enfin, mais non le moindre, la francophonie albertaine doit réfléchir à la question de la mise en œuvre. Une loi ou une politique linguistique n’a seulement de sens si elle débouche sur des initiatives concrètes. L’identification noir sur blanc des rôles et responsabilités du ministère responsable ou des ministères ciblés contribuera grandement à garantir que la politique albertaine prenne tout son sens.

Rémi Léger est professeur en sciences politiques à l’Université Simon Fraser, à Vancouver.

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