Santé en français : le mystère de Regent Park

Crédit image: montage #ONfr/Image MOFIF

TORONTO – Officiellement, le quartier torontois de Regent Park compte 200 personnes ayant le français comme langue maternelle, selon Toronto qui s’appuie sur les données de Statistique Canada. Mais la réalité serait tout autre. Et pour s’assurer d’offrir aux citoyens du secteur, plus pauvres qu’ailleurs, les soins dont ils ont besoin, plusieurs acteurs francophones se mobilisent pour se rapprocher de la vérité.

ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER
efgauthier@tfo.org | @etiennefg

« On sait qu’il y a beaucoup de francophones dans ce quartier. On sait qu’ils sont là, mais on ne les voit pas dans les statistiques », lance Tharcisse Ntakibirora,  coordonnateur des services en français au sein du réseau de la santé du Centre-Toronto (RLISS).

La population du quartier est traditionnellement plus pauvre et moins éduquée qu’ailleurs et il suspecte que plusieurs citoyens n’ont pas répondu aux derniers recensements, qui permettraient d’avoir un portrait plus juste de la situation.

« Il y a des niches où les francophones sont présents et ils n’ont pas les services en français auxquels ils ont droit », dit-il. « Seulement dans un immeuble de la rue Shuter, je connais de très nombreux francophones. On l’entend dans la rue, aussi. Mais on veut sortir de l’anecdotique », renchérit-il.

Faute de données sur les francophones, il est difficile de justifier financièrement une offre de nouveaux services en français dans ce secteur, dit-il.

Pour remédier à la situation, l’organisme Reflet Salvéo, qui conseille le réseau de la santé, a mandaté le Mouvement ontarien des femmes immigrantes francophones (MOFIF) pour effectuer une étude dans Regent Park, ainsi que dans le quartier voisin de Moss Park.

« Il y a une loi qui assure des services en français. Certains fournisseurs vont miser sur de la traduction, sinon on peut penser qu’il pourrait aussi y avoir un médecin de famille s’exprimant en français et qui pourrait servir des centaines de clients. On veut bâtir un argument pour justifier des investissements, s’il y a lieu », explique Gilles Marchildon, directeur de Reflet Salvéo.

  • Regent Park est délimité au nord par la rue Gerrard, la rivière Don à l’est, la rue Queen Est au sud et la rue Parlement Sud pour l’ouest.
  • Moss Park est délimité au nord par la rue Carlton, les rues Parlement, Queen Est la rivière Don à l’est, au sud par Front Street et à l’ouest par Jarvis.

Transformation fulgurante : où sont les francophones?

Le quartier torontois de Regent Park à Toronto a connu une transformation fulgurante en moins d’une décennie. D’un quartier dominé par de vieux immeubles à logements modiques, il est aujourd’hui composé principalement de nouvelles tours de condos, dont une partie a été réservée pour des logements sociaux.

« Pendant les travaux, plusieurs citoyens ont déménagé. On leur avait promis un logement une fois les travaux terminés, mais sont-ils revenus? Est-ce que ça a affecté le nombre de francophones? Si oui, où sont-ils allés? », se questionne M. Marchildon.

Dans ce contexte, il n’est pas facile pour le MOFIF de mener ses travaux, admet sa présidente Fayza Abdallaoui. Les obstacles rencontrés lors de la réalisation de l’étude illustrent toute la complexité des projets de recherche impliquant des francophones, selon elle.

« Il devient nécessaire de regarder de nombreux facteurs et déterminants. La langue maternelle ne dit pas tout, car plusieurs ont des langues africaines comme langue maternelle. Il faut regarder la langue utilisée à la maison, l’utilisation du français dans la vie des gens et plusieurs autres statistiques. Quand on le fait, on réalise qu’il y a autour de 5000 francophones dans Regent Park et Moss Park, ainsi que son pourtour », dit-elle.

L’étude comporte plusieurs volets, dont l’un sur le terrain. « Il a fallu miser beaucoup sur le bouche-à-oreille. Lorsqu’une maman nous a dit qu’elle connaissait d’autres mamans francophones, nous l’avons suivie pour les rencontrer. Un jeune homme actif dans un centre sportif où d’autres francophones se trouvaient nous a aussi donné de bonnes pistes », souligne Mme Abdallaoui.

« Plusieurs nous disent que des services en français leur rendraient la vie plus facile. Des femmes immigrantes ont de la difficulté à s’exprimer dans une autre langue lorsque vient le temps de parler de maladies chroniques, de la santé sexuelle et de soins gynécologiques », explique-t-elle.

Le dernier volet de l’étude est constitué d’un sondage. Il reste encore quelques jours aux citoyens des quartiers de Regent Park et de Moss Park pour y répondre (cliquez sur ce lien pour plus de détails).