Réflexions sur les « circonscriptions acadiennes »

Crédit image : Facebook FANÉ

[CHRONIQUE]

La décision de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse, rendue mardi 24 janvier, est une victoire pour la collectivité acadienne de la province, mais aussi pour la francophonie canadienne dans son ensemble. Elle nous invite à réinvestir les questions du pouvoir et de la représentation politique des minorités francophones du pays.

REMI LÉGER
Chroniqueur invité
@ReLeger

Jusqu’à 2012, la loi électorale néo-écossaise protégeait les « circonscriptions acadiennes » de Argyle, Clare et Richmond. Majoritairement acadiennes et francophones, ces trois circonscriptions se traduisaient par la présence de trois députés acadiens et francophones pouvant promouvoir les intérêts de la collectivité acadienne à l’échelle provinciale.

Elles furent officiellement abolies pour des raisons de nombre. La Commission sur la délimitation des circonscriptions électorales, suivant les ordres du gouvernement néodémocrate de l’époque, a recommandé que les « circonscriptions acadiennes » soient remplacées par de nouvelles circonscriptions où le poids des Acadiens et francophones est considérablement dilué.

La Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse statue que la nouvelle carte électorale ne respecte pas l’article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui exige un équilibre entre les principes de la parité électorale et de la « représentation effective » des minorités. De manière précise, elle reproche à la province d’avoir pipé les dés d’avance en exigeant coûte que coûte la parité électorale sur le travail de la Commission sur la délimitation des circonscriptions électorales.

En confirmant le mérite du principe de la représentation effective des minorités, la Cour d’appel convoque la province à repenser le statut et les privilèges de la collectivité acadienne.

Trois voies

La « représentation effective » peut prendre plusieurs formes. En voici trois que la collectivité acadienne néo-écossaise pourrait explorer.

La province pourrait rétablir l’ancienne carte électorale, ou encore dessiner une nouvelle carte qui rétablit les trois circonscriptions désormais abolies. Cette première voie présente cependant des limites, notamment parce qu’elle laisse pour compte les populations acadiennes et francophones ne résidant pas dans les circonscriptions de Argyle, Clare et Richmond.

La deuxième voie exigerait de repenser l’organisation du pouvoir sur le plan provincial, en donnant davantage de responsabilités législatives ou administratives à la collectivité acadienne néo-écossaise. Des pays d’Europe centrale et de l’Est ont fait des tentatives en ce sens, transférant des pouvoirs en éducation, culture, santé et services sociaux vers des institutions locales gérées par et pour les minorités.

Plus près de nous, à la fin des années 1970, la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada proposait un « pouvoir d’initiative » pour les minorités francophones. Elle déclarait qu’une « communauté minoritaire qui a suffisamment de ressources et de vitalité pour planifier et contrôler certains services qui sont près d’elle doit avoir la possibilité d’en réclamer la responsabilité ».

Cette deuxième voie demeure ambitieuse et difficile à réaliser.

Plus réaliste, la province et la collectivité acadienne pourraient s’inspirer de l’expérience néo-zélandaise. Depuis 1867, un nombre de sièges est réservé pour les Maori, qui varie selon le nombre d’électeurs inscrit sur la liste électorale maori. L’innovation est de superposer deux cartes électorales, une première pour la liste électorale nationale, une seconde pour la liste électorale maori.

Cette troisième voie de cartes électorales superposées est-elle envisageable en contexte néo-écossais?

En terminant, le tribunal néo-écossais, en proposant une interprétation généreuse de l’article 3 de la Charte canadienne, donne un nouveau souffle aux questions du pouvoir et de la représentation politiques des minorités francophones. Il est à souhaiter que nos organismes et nos institutions saisiront la balle au rebond.

Rémi Léger est professeur en sciences politiques à l’Université Simon Fraser, à Vancouver.

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