Protection des plaignants : l’Ontario doit-elle imiter le Nouveau-Brunswick?

Le commissaire aux services en français de l'Ontario, François Boileau. Archives, #ONfr

OTTAWA – Le Nouveau-Brunswick a adopté fin décembre un article de loi pour protéger les personnes qui déposent une plainte auprès du Commissariat aux langues officielles de la province contre les représailles. En Ontario, cette protection n’existe pas pour tout le monde. Si elle n’est pas jugée prioritaire, l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) comme le commissariat aux services en français (CSF) reconnaissent que cela pourrait aider.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

« Je n’ai pas eu connaissance de représailles contre des plaignants, mais je sais par contre que plusieurs personnes et organismes ne veulent pas porter plainte quand ils ne reçoivent pas leurs services en français par peur des conséquences. »

Bien qu’il ait fait de la modernisation de la Loi sur les services en français (LSF) une priorité de son dernier rapport, le commissaire aux services en français de l’Ontario, François Boileau, n’avait pas intégré dans ses suggestions une disposition protégeant les Ontariens qui portent plainte quand la loi n’a pas été respectée.

Dans les faits, rappelle M. Boileau, les plaintes qui sont transmises à son bureau demeurent confidentielles, ce qui est sensé protéger de toute possibilité de représailles. De plus, les fonctionnaires provinciaux qui feraient connaître un manquement à la LSF sont protégés depuis 2009 en vertu de la Loi sur les enquêtes publiques de l’Ontario.

Au Nouveau-Brunswick, le gouvernement de Brian Gallant a finalement adopté une mesure de protection des plaignants, le 16 décembre dernier. Désormais, il pourra en coûter jusqu’à 2 100 $ à ceux qui voudraient pénaliser une personne qui dénonce un manquement à la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick.

« Au fil des ans, le commissaire a été témoin de situations où des citoyens ont choisi de ne pas porter plainte ou de retirer leur plainte, car ils craignaient que leur identité soit découverte et qu’ils soient pénalisés d’une quelconque façon. Voilà pourquoi, le commissaire estime que la Loi doit mieux protéger les plaignants », indiquait l’ancien commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick, Michel Carrier, dans son rapport de 2010-2011.

Si elle reconnaît ne pas avoir de statistiques sur des cas de représailles, la commissaire actuelle, Katherine d’Entremont, indique avoir été informée de situations similaires.

Le professeur de l’Université de Moncton, spécialiste des droits linguistiques, Michel Doucet, applaudit cette initiative.

« C’était quelque chose de nécessaire. Je connais plusieurs personnes qui ont fait l’objet de remarques après qu’elles aient déposé une plainte. Cela dit, il reste à voir comment cette nouvelle procédure va s’appliquer car ce n’est pas encore clairement défini. Mais ça peut avoir un effet dissuasif pour une institution si elle sait qu’elle peut être condamnée. »

Au niveau fédéral, une telle mesure existe déjà dans la Loi sur les langues officielles, et le commissariat aux langues officielles (CLO) indique l’avoir déjà utilisée, tout en précisant que « cela date d’une bonne dizaine d’années ».

Protégé? Oui, mais…

Alors que M. Boileau encourage les Ontariens à lui faire part des problèmes d’accès aux services en français, une mesure telle que celle adoptée au Nouveau-Brunswick pourrait encourager les plaignants, reconnaît-il.

« Certains organismes, par exemple, hésitent à faire des plaintes par crainte de perdre leur financement ou pour ne pas avoir de mauvaises relations avec une institution ou un ministère. Je l’ai surtout vu au début de mon mandat en 2007. Pourtant, s’ils ne sortent pas publiquement, les plaintes restent confidentielles. »

Le président de l’AFO, Carol Jolin, explique avoir connaissance de tels problèmes.

« Cela nous arrive d’être approchés pour porter plainte car les personnes ou les organismes ont peur des représailles. Certains Franco-Ontariens d’origine étrangère viennent parfois de pays où si tu te plains, tu risques des problèmes. Il y a donc une hésitation. Une telle mesure pourrait encourager les plaignants. Ce serait un outil de plus pour faire respecter la Loi sur les services en français. »

Selon M. Doucet, les mesures de confidentialité ne protègent pas de tous les problèmes.

« C’est assez simple pour une institution d’identifier d’où vient la plainte quand elle a la date et l’heure de l’incident, même si l’identité est confidentielle. »

Le commissaire Boileau reconnaît que le degré de protection, surtout pour les particuliers et les organismes, n’est pas aussi important en Ontario.

« Je n’en ai pas parlé dans mon rapport, mais c’est sur mon radar. Une telle proposition aurait du bon car lorsque les gens m’informent d’une situation mais ne font pas de plainte formelle, c’est difficile pour moi d’intervenir. Même si j’entends beaucoup moins de craintes formulées ces dernières années, il faut voir à long terme. »

Révision périodique

S’il se dit donc ouvert à cette mesure, M. Boileau l’est en revanche beaucoup moins à l’idée d’une révision périodique de la LSF, comme c’est prévu au Nouveau-Brunswick pour la Loi sur les langues officielles ce qui a permis l’ajout de cette mesure de protection des plaignants.

« Je ne préfère pas aller là car on ne sait jamais quel sera le contexte politique dans le futur. Est-ce que la situation sera aussi favorable? Cela pourrait servir à restreindre les droits des francophones si on est en pleine crise linguistique. Je ne suis donc pas convaincu par cet ajout. »

Dans sa proposition de révision de la LSF, présentée lors du colloque sur les 30 ans de la loi en novembre dernier, le comité d’experts qui avait présenté la Loi sur la francophonie proposait une révision périodique de la version modernisée de la LSF.