Ottawa bilingue : ce qui change ou pas avec la nouvelle loi

La députée libérale d'Ottawa-Vanier, Nathalie Des Rosiers. Archives ONFR+

OTTAWA – C’était l’heure des réjouissances, vendredi 15 décembre, pour les Franco-Ontariens. Une trentaine d’entre eux, militants, élus et leaders ottaviens avaient pris rendez-vous pour célébrer le nouveau statut du bilinguisme à Ottawa. Qu’est-ce que changera vraiment l’enchâssement de la politique déjà existante, conférée par le vote du projet de loi 177? #ONfr a décrypté les modifications et les manques.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

Les apports de la nouvelle loi

La Ville est assujettie à la Loi sur les services en français

C’est sans doute l’un des plus gros bénéfices du nouveau statut : la Ville d’Ottawa devra maintenant davantage répondre à la Loi sur les services en français (LSF). Concrètement, le commissaire aux services en français, François Boileau, aurait plus de latitude pour gérer des plaintes. Dans les faits, l’article 14 de la LSF autorise les citoyens d’une dizaine de municipalités de porter plainte en cas de manques aux services en français dans leur Ville. Le hic, le cadre juridique ne s’appliquait pas à tous les services d’une municipalité. À Ottawa, la police municipale, la bibliothèque publique, la Société de logement communautaire d’Ottawa ainsi qu’Hydro Ottawa n’entraient pas dans ce cadre, a souvent rappelé Me Boileau.

Une politique sur les services en français enchâssée

La loi est claire. On indique que l’annexe qui modifie la Loi de 1999 sur la ville d’Ottawa « reconnaît le caractère bilingue d’Ottawa et oblige la ville à adopter un règlement municipal instaurant le bilinguisme dans son administration et dans ses services. Elle précise qu’un règlement municipal que la ville d’Ottawa a adopté en matière de bilinguisme est bien ce règlement. » « Il ne pourrait pas y avoir un maire à l’avenir qui décide de couper les services en français », affirme la députée d’Ottawa-Vanier, Nathalie Des Rosiers, considérée comme l’artisane de cette loi. « Il y a une pression qui va maintenant exister pour que le conseil municipal réfléchisse sur le règlement et le bonifie », précise le professeur de droit, Gilles LeVasseur. Lors de la relance du projet de désignation bilingue en 2014 sous l’impulsion du Mouvement pour une capitale du Canada officiellement bilingue (MOCOB), il était alors question de revoir cette politique tous les cinq ans.

 

Ce qui ne changera pas malgré la loi

Moyens réduits pour la Direction des services en français

Adopté mercredi dernier, le budget 2018 pour la Ville d’Ottawa comportait une mention pour la Direction des services en français : 3,088 millions de dollars. Une somme quasiment inchangée par rapport à 2016 et 2017. Le conseiller de Rideau-Vanier, Mathieu Fleury, est même sans ambages : « La Direction des services en français est devenue un services de plaintes et de traduction. » Or, le service est aussi destiné aussi à promouvoir la visibilité francophone, et l’amélioration de l’offre active de services bilingues.

La capacité des élus à embaucher des haut-cadres unilingues anglophones

La politique de bilinguisme de la Ville d’Ottawa est claire. « Tous les candidats externes considérés pour des postes de gestion de niveau 1 à 3 doivent être bilingues. Les seules exceptions, après qu’un vaste effort de recrutement a été déployé, devront obtenir l’approbation du Conseil. » Problème : les conseillers ne se privent pas pour offrir des « exceptions ». L’embauche du directeur municipal Steve Kanellakos a été faite ainsi, début 2016. Si « la politique permet des exceptions » confirme la représentante du groupe #OttawaBilingue, Bernadette Sarazin, il semble que les militants n’aient pas fait de la fin de cette clause une priorité.

Le maire d’Ottawa Jim Watson et le directeur municipal, Steve Kanallekos. Archives #ONfr

L’amélioration de l’offre active dans plusieurs services

Inciter les services de la Ville à revoir leur offre de services en français pour qu’ils soient conformes au principe d’offre active. L’une des plus anciennes revendications des militants semble avoir été oubliée dans le préambule de la loi. La situation semble parfois alarmante pour les services de pompiers et les policiers. « Ca va probablement réinjecter un dynamisme, et peut-être avoir des impacts très positifs », souligne Mme Sarazin. Interrogée sur le sujet, Nathalie Des Rosiers se fait prudente : « Ce sont des enjeux municipaux, mais il faut une culture de l’offre active à la Ville d’Ottawa. »

Plus de comportements positifs vis-à-vis du français

Une attitude plus favorable du français à la Ville d’Ottawa? La loi ne comporte rien à ce sujet. « Beaucoup de conseillers de l’Ouest et du Sud d’Ottawa ont encore des idées préconçues sur le bilinguisme », a reconnu Mathieu Fleury. Un sujet donc sensible. « Monsieur et madame tout le monde peuvent se sentir bien qu’on reconnaisse le bilinguisme et l’égalité des langues », argue Mme Sarazin. Mme Des Rosiers va un peu plus loin : « En général, les anglophones ont peur que leurs enfants n’aient pas accès à des emplois pour la Ville s’ils ne sont pas bilingues. Il faut continuer à avoir des écoles d’immersion et encourager les anglophones à apprendre le français. »

La représentante du mouvement #Ottawa bilingue, Bernadette Sarazin. Archives #ONfr

Les zones d’ombre par rapport à la loi…

Le contenu des services en français exigé

Autre apport non négligeable : il y aura maintenant toujours des services bilingues à la Ville d’Ottawa. Un détail tout de même : quelle sera la proportion de ces services? Un futur maire pourra t-il exiger moins de services tout en conservant la politique? « On n’empêche nullement la Ville de pouvoir le changer à sa guise, sans que l’on sache quels changements seraient acceptables », avait argumenté le juriste Mark Power, dans une récente entrevue à #ONfr. Un son de cloche un peu différent du côté de Mme Des Rosiers : « Il ne sera pas possible d’éliminer une référence au bilinguisme. »

Le professeur de droit, Gilles LeVasseur. Archives #ONfr

L’égalité entre le français et l’anglais

Dans le préambule de la loi, impossible de trouver une mention à l’égalité des deux langues officielles. « Ce projet de loi ne garantit aucunement l’égalité réelle du français et de l’anglais à la Ville d’Ottawa. On ne fait que confirmer les imperfections du règlement actuel en jugeant qu’elles sont acceptables », avait jugé Mark Power. « La loi nous donne la capacité de revendiquer cette égalité, quand elle n’est pas offerte, on va donc être capable d’aller chercher ces services-là », nuance Gilles LeVasseur. L’autre groupe militant, Dialogue Canada, a récemment déclaré que le projet de loi 177 ne le satisfait pas, en raison entre autres de cette absence de la notion d’égalité.

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POUR EN SAVOIR PLUS :

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