Michèle Bélanger, une « légende » franco-ontarienne du basketball

Michèle Bélanger, entraîneuse en chef de l'équipe féminine de basketball de l'Université de Toronto Crédit image Étienne Fortin-Gauthier

[LA RENCONTRE D’ONFR] 

TORONTO – « Légende », « Icône », « Gourou du basket »… Les qualificatifs utilisés au cours des dernières années pour décrire Michèle Bélanger, entraîneuse en chef de l’équipe de basketball féminine de l’Université de Toronto, ne manquent pas. Depuis près de quatre décennies, la francophone de Timmins accumule les récompenses et les hommages. Elle est pourtant quasi-inconnue des Franco-Ontariens.

« Votre passion du basketball vous vient de très loin. Tout a commencé à l’École secondaire catholique Thériault de Timmins. Racontez-moi ces premiers balbutiements?

J’ai commencé à faire des sports à la fin de mon école élémentaire. On devait faire de tous les sports, mais rapidement j’ai réalisé que je trouvais la natation ennuyante et que le volleyball n’était pas fait pour moi! J’ai cependant eu une révélation pour le basketball. J’aimais la vitesse du jeu et l’esprit d’équipe!

À partir de ce moment, votre amour du basket n’a fait que croître. Vous avez caressé de grands rêves très rapidement, n’est-ce pas?

Je voulais me joindre à l’équipe nationale! Il y a avait une séance de recrutement à Toronto et j’ai donc fait le voyage pour essayer d’être choisie. Mais toutes les filles étaient géantes! Elles étaient aussi habillées selon les dernières tendances, c’était un peu intimidant pour moi qui étais habillée simplement et qui arrivais du Nord. En plus, sur le terrain, elles avaient des techniques que je ne connaissais pas. Mais j’avais du potentiel, j’étais rapide et je me suis mise au travail. Même si j’étais une « petite fille d’une petite ville du Nord », je croyais en moi et je rêvais grand.

Et en travaillant fort, vous réaliserez votre rêve de joindre l’équipe nationale. Votre équipe remportera même quatre championnats consécutifs. Malheureusement, vous serez écartée de l’équipe, comment avez-vous accueilli cette décision?

C’était désastreux pour moi. Je n’étais pas en forme à ce moment-là de ma vie. L’équipe et le basketball, c’était ma vie, c’était tout pour moi. J’allais à l’école pour jouer au basketball. J’étais découragée. Je ne savais plus quoi faire de ma vie. Mon entraîneur m’a encouragé à postuler pour un poste d’entraîneur pour l’équipe féminine de basketball à l’Université de Toronto, même si je ne l’avais jamais été. J’ai été engagée pour la saison 1979-1980 à l’âge de 24 ans. Et aujourd’hui, j’y suis encore. Ultimement, ça a été la meilleure chose qui me soit arrivée.

Rapidement, vous allez accumuler les succès et même remporter le titre de meilleure entraîneuse à votre deuxième saison avec l’équipe, ainsi qu’à plusieurs autres reprises par la suite. En quatre décennies, vous avez signé plus de 800 victoires à titre d’entraîneuse. Quel est votre secret?

Mes succès personnels ne sont pas importants. Ce sont les succès de l’équipe qui me préoccupent. Je désire que les athlètes que j’accompagne vivent une expérience mémorable et puissent ensuite faire une différence dans la société. Gagner des matchs, c’est le résultat de tout le reste. D’abord, j’essaye de leur transmettre des valeurs, une éthique, une vision.

La place des femmes dans le milieu du sport est l’un de vos grands combats. Et à ce chapitre, vous avez noté des avancées au cours des quatre dernières décennies, mais demeurez insatisfaite de l’état des choses, n’est-ce pas?

Oui, c’est très frustrant. On n’accorde pas la même valeur à ce que les femmes font dans le sport. On voit les femmes dans la gymnastique, la natation, la danse, mais moins dans le basketball ou le volleyball. Le spectateur ne semble pas apprécier à sa juste valeur tout le travail nécessaire aux femmes pour atteindre le niveau des hommes dans ces sports. Et les médias ne sont pas intéressés par le sport féminin. Même s’il y a de bonnes histoires, les équipes féminines passent toujours en deuxième. Et plusieurs femmes quittent donc le navire pour joindre les équipes masculines, convaincues que le sport féminin n’est pas assez de haut niveau. C’est faux!

Pas du tout. Il y a encore des « boys clubs ». Je dirais même que c’est plus fort qu’avant. Les entraîneurs masculins qui travaillent avec les équipes féminines craignent de perdre leur emploi. Ils craignent que l’université décide d’engager des femmes pour entraîner les femmes. Si une femme a le talent pour devenir entraîneuse on devrait lui donner la chance de se prouver, même si son curriculum vitae est moins rempli, en apparence. C’est la chance que j’ai eue, et j’ai prouvé qu’on a eu raison de me faire confiance.

Vous venez d’une famille qui a toujours cru en l’importance de protéger la langue française. Le français a-t-il été un bon allié pendant votre carrière?

Quand j’étais petite, mes parents nous empêchaient de parler anglais. C’est à l’université que j’ai commencé à vivre davantage en anglais, lors de mon passage à l’Université Laurentienne. Quand on vieillit, surtout dans le milieu sportif, c’est en anglais que ça se passe. Mon mari est anglophone, mais pour moi, ça a toujours été essentiel que mes enfants sachent parler le français. Le français m’a permis d’aborder la vie différemment, ça a été un gros plus dans ma vie.

Est-ce que votre langue maternelle vous a ouvert certaines portes?

Oui, le français m’a permis d’être recrutée comme traductrice lors des Jeux olympiques de Montréal en 1976. J’ai eu la chance de regarder toutes les parties directement sur le terrain, alors que j’accompagnais les équipes. J’ai fréquenté les plus grands athlètes de ma discipline, notamment la Russe Uljana Semjonova, une géante de sept pieds! Plus tard, j’aurais aussi la chance d’aller en Afrique au sein d’une délégation francophone pour enseigner le basketball. Au Togo, j’ai rencontré des femmes qui n’avaient rien, mais qui voulaient tout apprendre de nous. Il faut redonner, c’est très important.

Un tournoi de basketball a d’ailleurs vu le jour à Timmins et vous vous faites un devoir d’assister à l’événement à chaque année pour encourager les jeunes qui y participent. La jeunesse semble toujours avoir été au cœur de vos préoccupations, n’est-ce pas?

Ça me gêne qu’on ait nommé un tournoi en mon nom! Je fais juste jouer au basketball! Je ne veux pas être connue. Aux jeunes, j’essaye de leur partager ma passion pour le sport. Il faut une passion pour le basketball. J’aime voir les joueuses, j’aime le jeu, j’aime la stratégie et j’aime même l’odeur du terrain. Tout me passionne et je veux la partager. Je veux transformer les jeunes et les aider à grandir. Bien souvent, ce n’est pas un âge facile pour nos jeunes athlètes. Ils sont loin de leurs parents, je suis avec eux six jours par semaine. On devient une seconde famille.

Vous êtes à l’aube de votre quarantième saison avec l’équipe de basketball de l’Université de Toronto. Quels sont vos plans pour les prochaines années?

On me demande parfois, si je suis prête pour la retraite. Pas du tout! Peut-être qu’il y aura un matin où ça ne me tentera plus de continuer, mais ce jour n’est pas arrivé. J’ai l’impression que je veux accomplir encore tellement de choses et aider davantage les femmes à faire leur place. J’espère qu’une femme va me remplacer, mais ce n’est pas facile quand on veut également une famille. Beaucoup de femmes ne sont cependant pas prêtes à travailler de 6h à 21h, comme je le fais souvent pour l’équipe. Les employeurs doivent aussi être flexibles et leur donner la chance de se prouver! »


LES DATES-CLÉS DE MICHÈLE BÉLANGER :

1955 : Naissance à Timmins

1982 : Remporte son premier titre d’entraîneuse de l’année. Elle récoltera pareille récompense à une dizaine de reprises pendant sa carrière

1979-1980 : Première saison de Mme Bélanger au sein de l’équipe de basketball féminine de l’Université de Toronto

2010 : Première édition du Tournoi Michèle Bélanger à Timmins, l’événement regroupe de nombreux équipes de basketball du Québec et de l’Ontario

2019 : Michèle Bélanger célèbrera son quarantième anniversaire à la tête de l’équipe de basketball féminine de l’Université de Toronto

Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.