Michel Prévost tourne une page de l’Université d’Ottawa

L'archiviste en chef de l'Université d'Ottawa, Michel Prévost. Crédit image: Université d'Ottawa, Robert Lacombe

[LA RENCONTRE D’ONFR] 

OTTAWA – Conférencier, historien mais surtout archiviste en chef de l’Université d’Ottawa, Michel Prévost est une figure incontournable de la défense et de la promotion du patrimoine franco-ontarien. Le 1er janvier, il tournera une page importante de son histoire personnelle en prenant sa retraite de l’institution créée par les pères Oblats. #ONfr l’a rencontré lors de l’une de ses dernières journées de travail.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

« Au moment de quitter l’Université d’Ottawa après tant d’années, comment vous sentez-vous?

Je pense que les premiers jours de ma retraite officielle, je vais ressentir un vide, car c’est un titre que je porte fièrement depuis près de 30 ans, mais pour l’instant, je ne réalise pas. J’ai encore tellement de dossiers à régler avant mon départ…

C’est beaucoup d’émotions. Lorsqu’on a dévoilé récemment la plaque pour la Commission des lieux et monuments historiques du Canada de la cathédrale Notre-Dame d’Ottawa, on m’a demandé de parler de son histoire et j’ai dit que c’était ma dernière intervention publique comme archiviste en chef. Tous les gens ont applaudi!


 « Avec mon équipe, j’étais le gardien de la mémoire et du patrimoine archivistique de l’Université d’Ottawa. »


Ces hommages vous surprennent?

Je dois avouer que quand on est reconnu, on est content. Jamais quand j’ai commencé ma carrière, je n’aurais pensé recevoir tous ces témoignages. J’ai toujours agi par passion et il faut bien dire que les prix et les hommages arrivent souvent après 20-25 ans, alors une personne qui s’investirait juste pour ça abandonnerait vite!

Michel Prévost devant le pavillon Tabaret de l’Université d’Ottawa. Crédit image : montage France Beauregard

N’avez-vous pas de regrets de quitter votre poste?

J’aurais dû le quitter en 2011, mais à l’époque, le recteur Alan Rock m’avait demandé de rester. Je pense que si j’étais parti à ce moment-là, ça aurait été une grave erreur. J’ai eu tellement de beaux projets ces dernières années, comme de siéger sur le comité organisateur provincial pour le 400e anniversaire de présence française en Ontario, de donner une conférence à Paris à la résidence de l’ambassadeur du Canada, d’être membre du comité pour le monument dédié aux Franco-Ontariens à Queen’s Park… Aujourd’hui, je pense que c’est le bon moment de partir, d’autant qu’on vient de célébrer les 50 ans des Archives de l’Université.

Quel regard portez-vous sur l’évolution de l’Université d’Ottawa après toutes ces années?

Quand je suis arrivé, il y avait 10 000 étudiants, il y en a plus de 40 000 aujourd’hui. À l’époque, les francophones étaient majoritaires, ce qui n’est plus le cas. Le campus s’est agrandi, il s’est embelli en protégeant ses maisons patrimoniales et en les restaurant.

Au niveau des Archives, quand j’ai commencé, il n’y avait ni internet ni courriels, rien n’était informatisé, on faisait tout à la main.

Que pensez-vous des critiques parfois émises contre l’Université d’Ottawa en matière de francophonie?

Il y a un désir de la haute administration que le français ait sa place. Une de mes plus belles journées comme archiviste a d’ailleurs été le dévoilement du Monument de la francophonie ici.

Mais c’est sûr que je constate que les francophones sont moins nombreux qu’ils l’étaient par le passé. Il suffit de se promener sur le campus. Il faut donc être vigilant et que les jeunes francophones s’impliquent et se souviennent que les francophones étaient là dès les premiers jours du collège de Bytown. L’Université d’Ottawa, c’est chez nous aussi!

Vous êtes archiviste en chef de l’Université d’Ottawa, mais bien plus encore. Historien, conférencier, militant du patrimoine… Pourquoi est-ce si important pour vous?

Les gens imaginent parfois que les Archives, c’est un lieu poussiéreux avec des archivistes trop sérieux. Je voulais briser cette image en participant à des événements et en faisant des conférences et des visites pour sensibiliser le grand public au patrimoine. Je me disais qu’en le faisant, cela encouragerait les gens à défendre le patrimoine quand il serait menacé.

Pour moi, le patrimoine, ce ne sont pas que les belles églises. C’est aussi l’histoire de gens ordinaires, des bâtiments typiques, comme les maisons ouvrières ou allumettes, qui représentent beaucoup plus le patrimoine que le gros manoir en pierre qui n’est significatif que de 1 ou 2 % de la population.

Comment un jeune homme, né à Hull, est-il devenu un fervent défenseur du patrimoine et de l’histoire des Franco-Ontariens?

Je suis né à Hull, mais mes deux parents étaient Franco-Ontariens. J’ai fait toutes mes études dans l’Est ontarien et j’ai des racines des deux côtés de la rivière des Outaouais. Je déplore d’ailleurs que la rivière soit une frontière, car quand on fait l’histoire de la région, on ne peut pas séparer les deux. Par exemple, la cathédrale Notre-Dame a été payée par les deux côtés, car c’était le même diocèse.

Je pense que je dois mon amour du patrimoine à mon grand-père, William Drouin. C’était un homme qui ne savait ni lire ni écrire, mais qui avait le sens de la mémoire. Un conteur qui était fier de ses racines et qui m’a transmis cette fierté.

Comment se porte le patrimoine franco-ontarien, selon vous?

Je suis particulièrement inquiet pour le patrimoine religieux en Ontario. Je ne comprends pas qu’on n’ait toujours pas, dans la province, un conseil du patrimoine religieux, comme il en existe au Québec. Ça a permis de sauver des centaines de lieux de culte.

On dit beaucoup que pour éviter l’assimilation, il faut convaincre les jeunes de parler la langue, mais on ne met pas assez l’accent sur l’histoire. Les jeunes doivent voir du concret et si on démolit tous les bâtiments, on perd notre histoire.


« Les francophones ont beaucoup contribué, depuis le début, au développement d’Ottawa. Ça fait mal quand on les oublie. »


Je suis notamment déçu de voir que progressivement, on efface la présence francophone à Ottawa. Comment se fait-il, par exemple, qu’il n’y ait pas une plaque au Canal Rideau, comme il y en a pour la communauté irlandaise, en mémoire de tous les francophones qui ont contribué à sa construction?

Michel Prévost lors de la remise de son doctorat honorifique de l’Université St-Paul, en 2015. Crédit image : Louise Imbeault, AUO-NUM-COL-5-475

Quel est votre monument patrimonial préféré en Ontario?

C’est difficile à dire, mais spontanément je choisirais la cathédrale Notre-Dame d’Ottawa. C’est la plus vieille église de la ville et elle est liée aux Franco-Ontariens. C’est là que Sir Wilfrid Laurier, le premier francophone premier ministre du Canada, et que Georges Vanier, le premier gouverneur général francophone, ont eu leurs funérailles. C’est aussi là que notre premier ministre actuel, Justin Trudeau, a été baptisé. Je suis fier de me dire que j’ai participé à la campagne, en 2004-2005, pour en préserver le sanctuaire.


« Si on veut sauver un bâtiment patrimonial, ce n’est pas quand les bulldozers sont là, ce sont des mois, des fois des années de travail. »


Quand j’étais étudiant, beaucoup d’entre nous aimions nous retrouver dans les cafés pour parler de changer le monde. Mais j’ai rapidement compris que pour y parvenir, il faut agir et sensibiliser les gens.

Quelle est votre plus grande fierté personnelle, le dossier qui vous a le plus marqué?

Il y a le dossier de la cathédrale donc, mais aussi celui de l’ancienne prison de L’Orignal, dans l’Est ontarien, qui est devenue aujourd’hui un lieu historique de l’Ontario avec plein d’activités. C’était la plus ancienne prison de l’Ontario et la seule francophone. Mike Harris l’avait fermée, mais personne ne manifestait dans les rues pour dire : « Mon fils ou mari y sont allés en prison, il faut la préserver! ». Pourtant, c’est l’un des plus vieux bâtiments de l’Est ontarien.

Y a-t-il des causes qui vous laissent des regrets?

Il y en a, c’est sûr, des bâtiments patrimoniaux qui ont été détruits. Mais en patrimoine, il vaut mieux miser sur nos victoires.

Quels sont vos projets désormais?

Je quitte la région et vous ne me reverrez plus jamais! (Il rigole) Je vais toujours être engagé en patrimoine. Je vais continuer à donner des visites guidées, des conférences, à siéger sur des comités et je reste président de la Société d’histoire de l’Outaouais. On ne peut pas tout arrêter du jour au lendemain, car sinon il y aurait un trop grand vide.

Mais je veux aussi profiter de ma femme et de mes proches et faire plus de ski de fond, de raquette, de patin et de randonnée. J’ai la chance d’avoir un père qui, à 80 ans, est encore en forme et m’attend.

Et puis, plus personnellement, j’adore les chats. Je vais donc profiter de ma retraite pour passer plus de temps avec mon chat. Si je ne m’étais pas autant engagé dans le patrimoine, j’aurais pu le faire pour la cause animale.

En terminant, si vous étiez à la place de Justin Trudeau, quelle serait votre première mesure pour les francophones?

Je trouve ça inconcevable qu’aujourd’hui encore, on puisse occuper des postes très importants sans être bilingues. La Loi sur les langues officielles date de près de 50 ans!

Mon geste serait de dire : on a passé des lois, on va les appliquer. Et si vous n’êtes pas bilingues, vous n’aurez pas le poste. En l’annonçant dès le départ, quelqu’un qui aurait de l’ambition, en entrant dans la fonction publique, profiterait des ressources qui sont disponibles pour parler les deux langues officielles. »


LES DATES-CLÉS DE MICHEL PRÉVOST :

1956 : Naissance à Hull, au Québec

1981 : Débute sa carrière à l’Université d’Ottawa

1985 : Maîtrise ès arts en histoire 

1990 : Devient archiviste en chef de l’Université d’Ottawa

1997 : Nommé président de la de la Société d’histoire de l’Outaouais

2015 : Reçoit un doctorat honorifique de l’Université Saint-Paul

Chaque fin de semaine, #ONfr rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.