L’ONÉ dans la mire des francophones

Crédit photo: Pixabay

OTTAWA – L’Office national de l’énergie (ONÉ) doit-il exiger que toute la documentation déposée pour des projets énergétiques soit disponible simultanément en français et en anglais? C’est en tout cas ce que réclament plusieurs militants québécois qui portent la cause devant les tribunaux.

La cause devrait être entendue à l’automne et trouve son origine, en 2014, dans les problèmes de traduction en français de la demande de projet de TransCanada pour l’oléoduc Énergie Est.

« Au départ, la documentation pour le projet Énergie Est n’était disponible qu’en anglais, alors que le projet concerne plusieurs communautés francophones à travers le pays. Et si depuis, TransCanada a produit des traductions, elles sont incomplètes et ne sont disponibles que sur le site de la compagnie et pas sur celui de l’Office, ce qui leur donne moins de légitimité. Les francophones n’ont pas eu accès à la même documentation pour se préparer aux consultations alors qu’il s’agit d’un enjeu d’intérêt public », explique l’ l’ancien juge à la Cour suprême du Canada, Michel Bastarache, qui assiste l’avocate Denyse Boulet dans ce dossier.

La cause est portée par plusieurs résidents québécois affectés par le tracé Énergie Est, ainsi que par le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE).

« Les francophones n’ont pas été traités de manière égale dans le dossier Énergie Est. L’Office fait des audiences publiques pour faire ensuite une recommandation, mais il devient difficile d’y participer si on n’a pas accès à la documentation dans la langue officielle de son choix », regrette la directrice générale de l’organisme, Karine Péloffy.

Le commissariat aux langues officielles (CLO) du Canada a reçu 11 plaintes entre 2014 et 2015 pour dénoncer la situation, dont une du critique aux langues officielles du Nouveau Parti démocratique (NPD), François Choquette.

M. Bastarache rappelle que l’enjeu va au-delà du projet Énergie Est.

« Il s’agit de déterminer une fois pour toutes les obligations linguistiques de l’Office car ce qui s’est passé avec Énergie Est peut se reproduire pour d’autres projets. »

Une question d’interprétation

L’ONÉ dit prendre « très au sérieux ses obligations en vertu de la Loi sur les langues officielles », et rappelle qu’elle fournit tous ses services et toutes ses communications au public dans les deux langues officielles.

Mais elle insiste sur le fait qu’elle ne peut forcer une compagnie qui dépose une demande de projet énergétique à le faire en français et en anglais.

« Aux termes de la Loi sur les langues officielles, l’Office ne peut forcer personne à déposer des documents dans une langue autre que la langue officielle choisie », explique l’agent de communications de l’ONÉ, Marc Drolet, dans un échange de courriels avec #ONfr.

Un avis que conteste M. Bastarache.

« L’Office se présente comme une organisation quasi judiciaire et considère donc, qu’à ce titre, elle doit, comme les tribunaux, permettre à chaque partie de transmettre sa documentation dans la langue de son choix. Mais à partir du moment où elle tient des audiences publiques qui lui permettent ensuite de faire des recommandations au gouvernement, elle devrait obliger le demandeur à présenter son projet dans les deux langues officielles. »

Impact sur l’Ontario

Si les plaignants obtiennent gain de cause, la décision pourrait profiter aux francophones de l’extérieur du Québec, notamment en Ontario, puisque désormais, tous les projets devraient être déposés auprès de l’ONÉ dans les deux langues officielles.

Dans le cas du projet Énergie Est, plusieurs communautés franco-ontariennes sont concernées par le tracé, notamment à Hearst, Kapuskasing et North Bay.a

« C’est une grande inquiétude ici car le projet Énergie Est a le potentiel se transformer en un véritable désastre environnemental, s’il y a un déversement, en affectant les sols et les nappes phréatiques de la région », explique le porte-parole du groupe Arrêtons Énergie Est North Bay, Marc Tessier.

Pour lui, les problèmes de traduction restent un problème parmi d’autres.

« Ici, tout le monde est pas mal bilingue, donc c’est peut-être moins problématique. »

Modernisation en cours

La démarche juridique autour des obligations linguistiques de l’ONÉ intervient alors que le gouvernement fédéral examine actuellement une modernisation de l’ONÉ.

Un comité d’experts étudie actuellement la structure, le rôle et le mandat de l’institution. Aucune directive gouvernementale ne semble toutefois avoir été donnée pour revoir cette question linguistique.

« Le projet Énergie Est a commencé sous le gouvernement de M. Harper et je pensais un peu naïvement qu’une fois les libéraux au pouvoir, ils étudieraient la question et qu’il y aurait une amélioration », glisse M. Bastarache.

L’ONÉ a déjà été rappelé à l’ordre par les juges concernant sa façon de fonctionner. Le 26 juillet dernier, la Cour suprême du Canada a statué son obligation de consulter adéquatement les communautés autochtones avant de prendre une décision sur un projet énergétique.