Les francophones hors Québec, « champions » du bilinguisme

OTTAWA – Le bilinguisme au Canada n’a cessé de progresser chez les francophones hors Québec depuis 1901, note Statistique Canada, dans son étude récapitulative, L’évolution du bilinguisme français-anglais au Canada de 1901 à 2011.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

À la veille du 150e anniversaire du Canada, en 2017, le bilinguisme se porte plutôt bien selon Jean-Pierre Corbeil, directeur adjoint de la Division de la statistique sociale et autochtone, à Statistique Canada. D’après les chiffres de son étude, cosignée avec René Houle, le bilinguisme a progressé de 14,7% en 1901 à 18,3% en 2011 à travers le pays.

Cette hausse très relative – bien qu’« importante en chiffres absolues », selon M. Corbeil – est beaucoup plus marquante chez les francophones hors Québec. Alors qu’ils étaient 65,8% à parler les deux langues officielles en 1901, ils sont désormais 85,3%.

« Les francophones hors Québec sont les champions du bilinguisme car ils vivent souvent dans des milieux où ils sont très minoritaires. Si beaucoup vont à l’école en français, ils restent très exposés à la culture anglophone et le phénomène d’anglicisation, sans être en forte croissance, reste une tendance lourde dans ces communautés. Et puis, il ne faut pas non plus oublier que jusque dans les années 90, beaucoup d’entre eux n’avaient pas accès à des écoles en français et devaient donc étudier en anglais », rappelle M. Corbeil.

Il a fallu attendre la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Mahé, en 1990, pour ouvrir la voie à la création de conseils scolaires francophones en milieu minoritaire.

Engouement relatif pour le français

S’il reconnaît que les communautés francophones en situation minoritaire ont dû et doivent encore faire face à de nombreux défis, M. Corbeil note toutefois un engouement des non-francophones hors Québec pour le bilinguisme et l’apprentissage du français. En témoigne, selon lui, la croissance des programmes d’immersion en français à l’extérieur du Québec. Au cours de l’année scolaire 2011-2012, ils comptaient 356500 jeunes inscrits du primaire et du secondaire.

« Les programmes d’immersion ont connu une forte croissance, environ 35% sur les dix dernières années hors Québec. Le défi reste aujourd’hui de valoriser l’utilisation du français ensuite, et de donner des opportunités de parler français à ceux qui l’apprennent à l’école mais le perdent finalement faute d’utilisation. »

En 1901, 2% des anglophones hors Québec parlaient les deux langues officielles. En 2011, leur pourcentage était de 7,4%, en léger recul depuis 2001.

« Les années 1970 ont favorisé l’engouement pour les langues officielles, encouragé par la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, le développement des programmes d’immersion et la mise en place de la Loi sur les langues officielles qui a obligé le gouvernement fédéral à promouvoir le français et l’anglais à travers le pays », note M. Corbeil.

Mais le bilinguisme des non-francophones hors Québec reste tout de même très faible et se concentre principalement dans certaines régions.

« C’est surtout dans les régions limitrophes du Québec, là où la communauté francophone est assez importante », reconnaît M. Corbeil.

Décourager le bilinguisme

Chez les allophones, en dehors de la Belle province, Statistique Canada remarque une progression continue du bilinguisme jusqu’en 1991, puis un léger recul ensuite. Mais là encore, le pourcentage reste faible.

« L’immigration internationale a été un moteur de la croissance de la population active au Canada pendant cette période. Mais souvent, ces nouveaux arrivants ne connaissent ou n’apprennent que l’anglais pour pouvoir travailler. Ils ne sont pas amenés à apprendre le français », analyse M. Corbeil.

En 2011, seulement 6,4% des allophones déclaraient maîtriser les deux langues officielles.

« Beaucoup d’entre eux sont pourtant très attachés au bilinguisme qu’ils voient comme une des valeurs du Canada », assure le directeur du Régime d’immersion en français à l’Institut des langues officielles et du bilinguisme de l’Université d’Ottawa, Marc Gobeil. « Ils sont soucieux que leurs enfants apprennent les deux langues, aussi bien pour leur intérêt professionnel que culturel. Pour eux, c’est une façon de s’intégrer au Canada. »

Citant une étude menée par Callie Mady, pour Canadian Parents for french, en 2008, sur L’État de l’enseignement du français langue seconde au Canada, M. Gobeil pointe du doigt un système qui n’encourage pas toujours l’apprentissage des deux langues auprès des nouveaux arrivants.

« Parfois, on va décourager les parents en leur expliquant que ce sera plus compliqué pour leurs enfants. D’autres fois, ils vont être confrontés aux difficultés d’accès aux programmes d’immersion. Enfin, les ressources ne sont pas toujours adéquates pour faire face à la forte demande. »

Pour M. Gobeil, la solution passe par un plan stratégique prévoyant le développement d’incitatifs au bilinguisme et des investissements ciblés, en formation notamment.