Les délais dans le système judiciaire sont aussi un problème linguistique

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OTTAWA – Les sénateurs étudient depuis plusieurs mois les meilleures options pour réduire les délais dans le système judiciaire au Canada. Pour y parvenir, une des solutions consisterait à garantir l’accès à la justice dans les deux langues officielles, selon le commissaire aux langues officielles du Canada, Graham Fraser.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

« Si les délais de traitement dans le système judiciaire au Canada sont un problème pour tous les Canadiens, c’est un défi supplémentaire pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire qui doivent attendre de longs délais s’ils veulent faire valoir leur droit d’avoir un procès dans la langue officielle de leur choix », a lancé en préambule le commissaire aux langues officielles du Canada, Graham Fraser, devant le comité des Affaires juridiques et constitutionnelles, mercredi 5 octobre. Ce dernier a cité plusieurs causes où les délais ont été de plusieurs années.

Pour répondre à la situation, le commissaire a rappelé qu’en 2013, il avait publié un rapport conjoint, L’Accès à la justice dans les deux langues officielles : Améliorer la capacité bilingue de la magistrature des cours supérieures, signé avec la commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick, Katherine d’Entremont, et le commissaire aux services en français de l’Ontario, François Boileau.

Malgré leurs dix recommandations pour améliorer la capacité du système judiciaire à répondre à ses obligations en matière de langues officielles, aucune de celles-ci n’a pour l’instant été entendue, que ce soit par le gouvernement conservateur en place au moment de la publication du rapport, que par le nouveau gouvernement libéral aujourd’hui.

Pourtant, alors que le bilinguisme des juges à la Cour suprême du Canada fait les manchettes, celui des juges dans les cours provinciales est tout aussi important dans certains endroits. Raison pour laquelle le député du Nouveau Parti démocratique (NPD), François Choquette, a récemment indiqué à #ONfr qu’il étudiait la possibilité de troquer son projet de loi sur le bilinguisme des juges à la Cour suprême du Canada pour un projet de loi qui demanderait au gouvernement de suivre toutes les recommandations du rapport de M. Fraser.

« Trop souvent, les avocats sont obligés de dire à leur client que s’ils veulent payer moins cher et ne pas attendre trop longtemps, il est préférable de demander un procès en anglais », a fait valoir M. Fraser, citant le résultat de 220 entretiens menés auprès de professionnels de la justice pour écrire son rapport. « Les plaintes que j’ai reçues en matière d’accès à la justice dans les deux langues officielles venaient d’avocats qui se plaignaient de cette situation », a-t-il précisé.

Une situation qu’avaient partagé certains d’entre eux avec #ONfr, en avril dernier.

La ministre de la Justice du Canada, Jody Wilson-Raybould, s’est dit ouverte à les étudier. Le commissaire a donné jusqu’au 31 octobre au gouvernement libéral pour mettre en œuvre ses recommandations, mais il se dit prêt à attendre que les consultations menées actuellement par le ministère auprès des acteurs du système judiciaire soient terminées.

Les sénateurs surpris

En attendant, le commissaire aux langues officielles a obtenu une oreille attentive de la part des sénateurs du comité des Affaires juridiques et constitutionnelles.

Plusieurs se sont étonnés que ses recommandations n’aient pas été encore mises en place pour répondre au manque de capacités à offrir des services de justice dans les deux langues officielles et aux problèmes d’évaluation des compétences linguistiques de la magistrature canadienne.

« Actuellement, il n’existe aucune façon réelle de mesurer le besoin de juges bilingues et il n’y a aucun système d’évaluation linguistique. Quand ils postulent, les juges procèdent par autoévaluation, si bien qu’on découvre parfois, ensuite, que des juges qui pensaient être assez bilingues pour présider une cause ne le sont tout simplement pas. Quant à l’évaluation des besoins, il y a simplement une discussion informelle avec le juge en chef de chaque province », a indiqué M. Fraser.

Une situation que la sénatrice de Colombie-Britannique, Nancy Green Raine, ne comprend pas.

« Je suis stupéfaite que ne soient pas évaluées les besoins en juges bilingues ni les compétences linguistiques de ceux qui le deviennent! Il me semble que la solution est pourtant simple, alors que les effets sont majeurs sur les délais de traitement des causes judiciaires. »

Pour M. Fraser, un système de planification devrait être mis en place pour identifier où se trouvent les besoins et y répondre. Quant au bilinguisme des candidats, le gouvernement fédéral aurait des moyens d’agir.

« Il y a une grande majorité de provinces où l’apprentissage des deux langues n’est pas obligatoire, même si des progrès ont été réalisés quant à l’accès à l’éducation en langue seconde. Même si l’éducation est une compétence provinciale, une façon d’avoir plus de Canadiens bilingues, et donc de candidats bilingues dans le domaine de la justice, pourrait être pour le gouvernement fédéral de faire savoir aux universités la forte demande d’employés bilingues dans la fonction publique et que ces universités mettent en place des incitatifs pour les élèves ayant étudié au secondaire dans la langue seconde. »