Les Algériens regardent tranquillement vers l’Ontario

Housseyn Belaiouer. Crédit image: Gracieuseté

[TÉMOIGNAGES]

L’Ontario n’est pas la destination de prédilection de la communauté algérienne qui lui préfère encore très largement le Québec, plus francophone. Mais certains commencent à se laisser séduire par les nombreuses opportunités qu’offre la province.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

Fayza Abdallaoui fait partie de ces Algériens qui ont opté pour l’Ontario. Installée à Mississauga depuis un peu moins de dix ans, elle a fait le pari d’une seconde immigration après avoir vécu 15 ans à Paris pour y suivre des études en philosophie, puis en communication et marketing, avant de commencer sa vie professionnelle en France.

« Ça faisait longtemps que nous pensions au Canada. Adolescente, j’avais une image très positive de ce pays, un peu cliché même. Je regardais Anne… La Maison aux pignons verts à la télé… Je voyais ce pays comme ouvert, habité par des gens polis… Si bien que quand mon mari a reçu une très belle opportunité professionnelle au Canada, nous n’avons pas hésité, même si j’avais moi-même un très bon poste au sein du groupe ACCOR », raconte-t-elle.

Forte de son expérience au sein du sixième opérateur hôtelier au monde, Mme Abdallaoui pensait trouver rapidement un emploi en adéquation avec sa formation et son expérience, après avoir donné naissance à son fils peu de temps après son arrivée au Canada.

« Je pensais naïvement que mon expérience et mon curriculum vitae m’ouvriraient des portes, mais j’ai rapidement découvert le concept d’employée « surqualifiée ». De plus, je n’étais pas connectée avec les organismes francophones et n’avait pas l’habitude de demander du soutien. Ça a été très difficile! »

Un pays bilingue?

La jeune mère de famille découvre alors un pays un peu différent de l’image qu’elle s’en était fait, notamment en ce qui concerne la place du français.

« Je pensais que le Canada était bilingue, mais je me suis rendue compte que le français n’est pas présent partout. Comme jeune maman, je me suis sentie isolée, jusqu’à ce que je découvre les organismes francophones par le bouche-à-oreille. »

Aujourd’hui, elle ne regrette pas de s’être accrochée. Après avoir monté son entreprise, elle a travaillé pour l’organisme Oasis, Centre des femmes, puis a décidé de retourner à son compte, tout en gardant l’organisme comme client.

« Je me sens bien en Ontario et le Québec ne m’a jamais tenté, car ça me rappelle trop la vie parisienne. Toronto est une ville calme comparée à Paris. Ces derniers temps, je croise de plus en plus d’Algériens qui quittent le Québec pour l’Ontario », soutient-elle.

Pourtant, en 2016, ils étaient seulement 70 Algériens, sur 2 820 d’entre eux, à devenir résidents permanents en Ontario, selon les chiffres fournis par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC).

Du Québec vers l’Ontario

Mais la migration entre les provinces existe pourtant bel et bien.

Originaire de Jijel, Housseyn Belaiouer a fait comme de nombreux Algériens qui choisissent le Québec à leur arrivée en sol canadien. Il y a huit ans, il était venu terminer ses études à Québec, pour ensuite poursuivre sa route à Montréal.

« Le système d’éducation canadien est reconnu à travers le monde et j’ai senti qu’il y avait ici des opportunités d’évoluer », explique le jeune homme de 32 ans.

Il y a quelques mois, il a pourtant fait ses valises pour Toronto. Désormais, il travaille comme coordonnateur des communications et de l’engagement communautaire au sein de l’organisme franco-ontarien, Reflet Salvéo.

M. Belaiouer souligne également une plus grande solidarité au sein de la communauté francophone à Toronto en général, et algérienne en particulier.

Cette communauté s’est regroupée sur divers forums, notamment via un groupe sur Facebook qui permet, depuis 2011, d’échanger des conseils et de répondre aux nombreuses questions des candidats à l’immigration en Ontario.

« J’ai créé le groupe pour partager mon expérience. J’ai eu du mal quand je suis arrivé. Aujourd’hui, la majorité des questions que nous recevons concernent le travail, le coût de la vie en Ontario et les études. Beaucoup se demandent s’ils vont pouvoir survivre en français dans la province », explique El-Annabi, l’administrateur du groupe qui préfère utiliser un pseudonyme.

Selon lui, le groupe de 551 personnes qui se retrouve sur la page Les Algériens de l’Ontario se divise entre ceux qui vivent au Québec et ceux qui sont encore en Algérie.

Fausse publicité

Pour Mme Abdalloui, faciliter le bon accueil et la bonne intégration de ces ressortissants algériens en Ontario et au Canada passe par plusieurs mesures. À commencer par la mise en place d’un mécanisme pour faire connaître, dès l’arrivée à l’aéroport, les organismes francophones qui offrent du soutien aux nouveaux arrivants. Elle suggère aussi au Canada de modifier son message propagé à l’extérieur du pays.

« Les publicités sur le Canada laissent penser que le pays est bilingue et que tous les services sont disponibles en français, si bien que les gens arrivent ici en pensant qu’ils vont pouvoir travailler en français. C’est irresponsable! », juge Mme Abdallaoui, pour qui les nouveaux arrivants eux-mêmes ont un rôle à jouer.

« Quand on parle à sa famille ou à ses amis qui vivent encore dans notre pays d’origine, on a tendance à enjoliver la réalité. Il faut pourtant le dire que c’est difficile, même si pour moi le Canada est le plus beau pays du monde! »

Pour réussir, Mme Abdallaoui prône la patience et également l’humilité.

Pour M. Belaiouer, le retour aux études peut-être la meilleure solution.

« Ça m’a ouvert des portes de retourner aux études, car l’emploi, c’est toujours la priorité pour les gens quand ils arrivent ici. Mais c’est vrai que ça peut être difficile pour les personnes plus vieilles de se dire qu’elles doivent reprendre leurs études. »

Mais outre ces problèmes souvent communs à tous les immigrants, peu importe la province, l’Ontario a aussi ses propres spécificités sur lesquelles elle doit travailler pour attirer des nouveaux arrivants, pense Mme Abdallaoui.

« Le logement dans des villes d’immigration comme Toronto est beaucoup trop cher, tout comme les garderies, alors que souvent les deux parents doivent travailler quand une famille s’installe au Canada. Vouloir faire venir des immigrants, c’est une chose, mais il faut aussi se donner les moyens pour une intégration réelle. Et de ce point de vue là, il y a encore du travail! »