Le Ramadan : une occasion de reconnaitre la proximité entre deux cultures

Le Ramadan se terminera le 24 juin. Crédit image: Pixabay

[CHRONIQUE]

Nous sommes en pleine période de Ramadan, ce mois pendant lequel nos concitoyens musulmans jeûnent du lever au coucher du soleil. Le Ramadan fait partie des cinq piliers de l’Islam (aux côtés de la profession de foi – affirmant qu’Allah est le seul Dieu et Mohammed son prophète; la prière – cinq fois par jour; la zakat – l’obligation de donner aux plus pauvres; et le pèlerinage à la Mecque).

AURÉLIE LACASSAGNE
Chroniqueuse invitée

Les lecteurs qui auront grandi dans la foi chrétienne s’apercevront déjà des nombreux points communs avec l’enseignement du christianisme : la profession de foi ressemble à ce que les Chrétiens font quand ils font leur communion, moment où ils entrent dans la communauté du Christ et par là-même reconnaissent que Dieu est unique et que Jésus est son fils; la prière quotidienne faisait partie de la vie de tous les jours pour de nombreux Franco-Ontariens il y a une décénnie (moi je récite toujours mes dix Je vous salue Marie pour savoir quand les œufs sont durs); la charité chrétienne; de nos jours, les chrétiens ne sont pas obligés d’effectuer un pélérinage à Jérsualem ou Bethléem, mais rappelez-vous que pendant des siècles cela était vu comme une obligation, c’est d’ailleurs ce qui explique les Croisades.

Enfin, le Ramadan remplit la même fonction que les quarante jours du Carême. Bref, tout cela pour vous rappeler que l’Islam et le christianisme étant deux des trois religions abrahamiques, c’est bien entendu le même Dieu qui les anime et que les similitudes sont nombreuses.

Ces deux religions ont eu une influence notable sur la civilisation islamo-arabe et la civilisation judéo-chrétienne/occidentale. Non seulement leurs fondements sont les mêmes, mais leurs histoires, leurs développements s’effectuent, non pas en parallèle mais de façon intimement imbriquée.

Cette imbrication, cet enchevêtrement n’a pas souvent été de soi, il fut plus souvent violent que pacifique; mais on aurait tort de ne pas en apprendre plus sur ces rencontres, mélanges, créolisations, emprunts, apports qui font qu’aujourd’hui, nous partageons bien plus que ne le laissent penser les stéréotypes couramment rencontrés et les discours haineux entendus des deux bords.

J’irai même plus loin, comme francophones, nous partageons bien plus avec les personnes de culture arabo-musulmane que les anglophones. Et je ne parle pas d’Averroès, des mathématiques, de la médecine, de l’astronomie, toutes ces sciences qui n’auraient pu continuer leur développement dans la modernité européenne si les Arabes n’avaient pas rempli la fonction essentielle de chainon manquant.

Ce sont eux qui ont redécouvert les textes anciens, grecs notamment, et les ont traduits et développés. A l’époque médiévale, quand l’Europe était plongée dans un long processus de décivilisation, où chaque siècle marquait la perte irrémédiable de connaissances et savoirs, la civilisation arabo-musulmane, mais aussi les Perses, eux, développaient ces connaissances, les renforçaient, les étudiaient, ce fut leur âge d’or.

Et c’est grâce à leur conquête de l’Afrique du Nord puis du Sud de l’Europe que ces connaissances parviendront à nos ancêtres européens. C’est ce qu’on appelle un joli paradoxe de l’Histoire, ou une conséquence inattendue du grand mouvement de l’Histoire.

Ce dont je voudrais parler ce sont des arts, des mots que nous partageons; ce qui fait que nos relations sont spécifiques et distinctes.

 

Les mots d’origine arabe dans la langue française

C’est un fait méconnu, mais l’arabe est une des langues à laquelle le français a le plus emprunté, résultat d’une histoire pas toujours facile soit; mais qui, si on se projette dans l’avenir, devrait être appréhendée différemment. Ces mélanges et emprunts qui font que notre langue est aussi vivante et dynamique ne sont pas simplement le reflet de la colonisation, mais également des mélanges de populations et des migrations qui font que notre société est plus créolisée, plus belle, plus intéressante, qu’elle ne se meure pas tout simplement.

Alors il y a plein de choses qu’on ne pourrait pas manger sans la langue arabe, à commencer par le sirop (=sarab) d’érable, mais bien d’autres encore : aubergine, épinard, orange, abricot, banane, curcuma,  gingembre, estragon, fennec, oseille, les sorbets.

Vous prenez du sucre dans votre café?

Sucre = sukkar

Café = qahwa

Pis si vous voulez y mettre une petite goutte…

Alcool – al-kuhul

Si vous êtes encore fatigué après ça :

Matelas = matrah

Sofa = suffa

Masser = massaha

Pas facile non plus de s’habiller sans les mots arabes :

Chemise = qamis

Jupe = jubba

Jaquette = jakk

Gilet = jalikah

Mais tout cela n’est pas dû au hasard (= az-zahr) comme vous l’aurez compris. Bon il y a des choses dont on aurait voulu se passer (chimie = al-kimiya; tarif = ta’rifaè; chiffre = sifr = zéro; algèbre = al-jabr; douane = diwane; et autre algorythme du nom du mathématicien Al-Kwarizmi), mais c’est la vie, inch Allah!

Les mots ne sont pas tout. Nous avons aussi la chance d’accueillir parmi les grands écrivains francophones de nombreux chantres issus de cette culture qui imprègnent plus ou moins leurs œuvres, mais qui pour sûr, ont imprégné notre culture. Si vous ne savez pas quoi cet été au chalet, n’hésitez pas à vous plonger dans ces œuvres : celle de Tahar ben Jalloun,  Kateb Yacine, Driss Chraïbi, Amin Maalouf (mon préféré depuis l’école, une bonne entrée en matière), les controversés mais fascinants et courageux Kamel Daoud et Yasmina Kadhra; sans parler de tous les écrivains juifs, comme Naïm Kattan et Albert Memmi, qui ont baigné dans la culture arabe ou persane; ainsi que les écrivains de chez nous, dont Hédi Bouraoui, Arash Mohtashami-Maali (d’origine iranienne).

Je m’en voudrais d’oublier le magnifique recueil paru récemment d’Aziza Rahmouni et Michel Dallaire, Nomadismes (aux éditions Prise de parole), qui explique bien mieux que moi ce métissage fascinant, savoureux et exaltant qui fait de nous, Franco-Ontariens, qui nous sommes aujourd’hui, dans la continuation de tous les métissages et créolisations à l’œuvre en Ontario français depuis 400 ans.

Nous avons tout en nous pour ne pas céder aux sirènes de la haine. Allez vers l’autre, accueillir l’autre chez soi, rencontrer, échanger, prendre et donner, partager, c’est ça être Franco-Ontarien!

l’avenir se trame dans nos tripes

le statu quo est un risque énorme

aller vers l’Autre voyager vers soi

Robert Dickson, Humains paysages en temps de paix relative

 

Aurélie Lacassagne est professeure agrégée en sciences politiques à l’Université Laurentienne. 

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