Le procès Ghomeshi ou l’art de blâmer la victime

Archives ONFR+

[CHRONIQUE]

Le procès le plus médiatisé du Canada anglais depuis quelques années nous donne un autre exemple de l’injustice à laquelle font face les femmes qui révèlent une agression sexuelle. Le contre-interrogatoire mené contre l’actrice Lucy DeCoutere nous rappelle que les femmes qui dénoncent leurs agresseurs sont immédiatement suspectées de faire de fausses accusations contre les hommes qui les ont attaquées. C’est davantage le cas lorsque l’individu est une personnalité publique, comme Bill Cosby ou Jian Ghomeshi, ancien animateur vedette de la CBC.

SERGE MIVILLE
Chroniqueur invité
@Miville

L’immense majorité des cas d’agressions sexuelles n’est pas dénoncée auprès des autorités. Peut-être parce que les victimes sont encore trop souvent suspectées d’être, en partie ou complètement, responsables de leur agression. En effet, une fois la plainte énoncée, l’ensemble des comportements de la victime est scruté à la loupe afin de les culpabiliser. Les vêtements qu’elles ont portés, leur comportement sur les réseaux sociaux, un appel ou un texto « sont des preuves » que les femmes ont « voulu être agressées ».

La psychologie de la victime est rarement prise en compte et très mal comprise. Le fait que certaines stratégies de survie qu’empruntent les femmes soient interprétées comme des preuves qu’elles étaient consentantes dénature l’expérience qu’elles ont vécue comme victimes.

Certes, certaines femmes vont garder le silence et même rationaliser leur douloureuse expérience pour se départir de leur statut de victime. Mais la prise de contact avec un agresseur, les vêtements portés ou les comportements sur les réseaux sociaux, ne doivent pas être interprétés comme un consentement. Dans le cas de la prise de contact, c’est plutôt une réaction très rationnelle compte tenu d’une société qui semble considérer les victimes comme responsables de leur sort.

Le système de justice laisse tomber les femmes victimes d’agressions sexuelles. Elles sont humiliées et jugées sur la place publique, alors que la société patriarcale protège ses vedettes qu’elle juge être ciblées à cause de leur statut, plutôt que de les considérer comme des agresseurs.

Le jury de l’espace public n’encourage certainement pas une femme à s’afficher comme victime et survivante d’une agression sexuelle, ni à la dénoncer. Le cas Ghomeshi n’est qu’un exemple parmi tant d’autres que les cours de justice sont un espace hostile pour les femmes et une expérience très éprouvante pour une victime.

Alors que nous devrions appuyer les femmes et les encourager à dénoncer leurs agresseurs, le procès Ghomeshi témoigne, au contraire, du chemin qu’il reste encore à parcourir avant d’arriver à un consensus sur le rapport entre la victime et son agresseur.
Serge Miville est chargé de cours en histoire à l’Université Laurentienne.

Note : Les opinions exprimées dans les chroniques publiées sur #ONfr n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.