Le legs de Madeleine Meilleur

Madeleine Meilleur
Madeleine Meilleur demeure en faveur du bilinguisme des juges à la Cour suprême du Canada. Archives, #ONfr

[ANALYSE]

« On l’attendait beaucoup sur les grands dossiers, mais (…) les petits pas de Madeleine Meilleur ont fait en sorte que la communauté a fait des grands pas. »

FRANÇOIS PIERRE DUFAULT
fpdufault@tfo.org | @fpdufault

Cette analyse de la professeure Linda Cardinal, de l’Université d’Ottawa, est probablement celle qui résume le mieux le parcours politique de Madeleine Meilleur, qui a annoncé, jeudi 9 juin, à la surprise générale, son retrait de la vie politique.

La ministre déléguée aux Affaires francophones de l’Ontario pendant près de 13 ans a bien compris une chose à son arrivée à l’Assemblée législative. Qu’il ne servait à rien de taper du poing sur la table. Que la façon la plus efficace de servir les intérêts de la communauté franco-ontarienne était d’influencer, persuader les autres décideurs.

C’est ce qu’elle a fait. Sans relâche.

Les Franco-Ontariens ont aujourd’hui un Commissariat aux services en français qui jouit d’une indépendance politique complète pour défendre leurs causes au parlement provincial. Ils ont un télédiffuseur public, TFO, entièrement indépendant de sa station-sœur anglophone TVO. Ils ont comme levier législatif un règlement qui oblige les sous-traitants du gouvernement à offrir des services en français, même si son application demeure parfois laborieuse.

Madeleine Meilleur a su comment, et surtout quand proposer à ses collègues du conseil des ministres à Queen’s Park ces changements qui ont rendu la communauté franco-ontarienne plus forte et plus sûre d’elle-même – sans jamais rien enlever à la majorité anglophone.

La députée d’Ottawa-Vanier a pris le sentier des « petits pas », comme l’avait décrit l’ancien premier ministre Bill Davis dans les années 1970. Un long sentier, souvent tortueux, que les francophones de l’Ontario ont commencé à défricher après l’abrogation du Règlement XVII et qui mènera dans un proche avenir à la gouvernance universitaire, et sûrement plus loin encore.

Abnégation

Petit brin de femme au regard clair, Mme Meilleur écoutait et observait bien plus qu’elle ne parlait. Elle n’a jamais été du genre à se donner en spectacle à la période de questions à l’Assemblée législative ni devant la presse. Elle n’était pas, non plus, du genre à se féliciter à n’en plus finir lorsqu’elle parvenait à faire adopter un projet de loi, comme le font volontiers d’autres politiciens.

La preuve, c’est que la ministre des Affaires francophones a choisi de tirer le rideau sur une carrière politique longue d’un quart de siècle à la veille de l’annonce de la création d’une université « par et pour » les Franco-Ontariens avec ses propres installations à Toronto. À la veille de l’annonce la plus importante dans le domaine névralgique de l’éducation de langue française depuis près de deux décennies…

Ça n’a certainement pas été facile pour Mme Meilleur de convaincre son gouvernement – qui se cantonnait à la base dans une simple bonification des programmes d’études dans la région du centre et du sud-ouest de l’Ontario – de bâtir un nouveau campus universitaire. Les honneurs lui reviennent à juste titre. De ses « petits pas », elle a parcouru un long chemin.

Mais elle a choisi de faire preuve d’abnégation. Et ce, peu importe qu’elle ait précipité ou non son départ devant l’éventualité d’un remaniement ministériel dont elle aurait pu être exclue.

C’est vrai aussi qu’on a parfois attendu Mme Meilleur sur des grands dossiers. Elle n’a pas beaucoup poussé – publiquement du moins – dans le sens d’une province officiellement bilingue, ou d’une capitale nationale officiellement bilingue. Les plus pressés des Franco-Ontariens auraient sans doute aimé qu’elle monte davantage aux barricades. Ils auront peut-être un jour l’occasion de constater tout le travail qu’elle a fait derrière des portes closes.

Car la communauté francophone de l’Ontario n’a jamais cessé d’avancer au cours des 13 dernières années. Lentement mais sûrement. À force de « petits pas », cette communauté peut regarder derrière elle aujourd’hui et se rendre compte qu’elle a joggé tout un marathon.

C’est ça, le legs de Madeleine Meilleur.

Cette analyse est publiée également dans le quotidien LeDroit du 11 juin.