[ANALYSE]

OTTAWA – Au fil des années, son visage était devenu familier dans tous les grands événements francophones. Son fameux « réflexe franco » implorant les Franco-Ontariens de demander les services dans leur langue, était devenu tout aussi incontournable. À partir de dimanche, Denis Vaillancourt transmettra son flambeau de président de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) à Carol Jolin.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

Pendant six ans, M. Vaillancourt a arpenté sans relâche les quatre coins de l’Ontario pour donner une voix forte à l’AFO, et par conséquent aux 611 500 Franco-Ontariens. Et c’est là l’une des grandes réussites du président sortant : avoir donné à l’organisme francophone une réelle stabilité.

Car rien n’a été simple lors de la création de l’AFO en 2005, à la suite de la fusion de l’Assemblée des communautés franco-ontariennes (ACFO) et la Direction de l’Entente Canada-communauté Ontario (DECCO). Ébranlé par problèmes de gestion (climat de travail tendu, taux de roulement de personnel élevé, dépenses mal avisées), l’organisme avait d’abord peiné pour s’imposer comme un joueur de poids chez les francophones.

Ancien sous-ministre adjoint au ministère de l’Éducation de l’Ontario, Denis Vaillancourt est de ceux qui pèsent chaque mot prononcé, et évitent les déclarations fracassantes. Une prudence rhétorique qui a pu agacer dans la communauté francophone. C’est ici sous-estimer les effets positifs de cette politique de mains tendues vers plus de partenaires.

Épaulé par Peter Hominuk qu’il a embauché comme directeur général en 2011, M. Vaillancourt a œuvré dans les coulisses pour gommer l’étiquette très libérale de l’AFO. Une image plus inclusive qui a permis à l’organisme de solidifier ses liens avec le Nouveau Parti démocratique et de l’Ontario et d’avoir une oreille plus attentive du Parti progressiste-conservateur (PC de l’Ontario).

Jeune organisme en quête de reconnaissance des partis politiques et autres groupes pancanadiens, l’AFO avait besoin de crédibilité ces dernières années. Et Denis Vaillancourt a donc été le président idoine. Rien n’empêchera l’organisme une fois atteint « l’âge adulte » d’avoir une communication plus incisive et directe vis-à-vis du gouvernement de l’Ontario.

Le départ de M. Vaillancourt coïncide avec un moment crucial pour les Franco-Ontariens : une nouvelle ministre déléguée aux Affaires francophones a été nommée, la Loi sur les services en français (Loi 8) célébrera ses 30 ans en novembre, le projet d’une université franco-ontarienne est maintenant en marche.

Si l’idée d’un tel édifice a fait son chemin à Queen’s Park, c’est en partie grâce à la mobilisation du Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO)… mais aussi celle de l’AFO. En s’alignant sur les positions des étudiants, Denis Vaillancourt a donné plus d’épaisseur au projet, et montré qu’une université de langue française allait dans le sens de l’histoire des Franco-Ontariens, pas simplement de l’intérêt des jeunes franco-ontariens.

Lorsqu’au plus fort des revendications, Madeleine Meilleur a répondu aux jeunes qu’il était normal à leur âge d’être impatient, c’est la preuve que cette nuance est encore mal comprise aujourd’hui à Queen’s Park, et explique peut-être la lenteur du projet.

Une autre lenteur contre laquelle M. Vaillancourt s’est bagarré sans succès, c’est celle de l’intégration des minorités ethniques au sein de l’organisme. L’incapacité de l’AFO de vendre des cartes de membres aux immigrants africains, et aussi d’être connue par les francophones ou francophiles, reste un dossier en suspens sur la table du nouveau président, Carol Jolin.

Quant au « réflexe franco » cher au président sortant, il pourrait prendre un peu plus d’ampleur avec le temps. Car ce n’est pas aux drapeaux et aux monuments d’assurer la survie de la francophonie, mais aux Franco-Ontariens dans leur vie quotidienne… au risque de laisser croître l’assimilation. Avoir rappelé sans cesse l’importance de ce « réflexe », c’est aussi ça le legs de Denis Vaillancourt.