Le français, vraiment recherché par les employeurs ontariens?

Seulement 6 % des postes affichés depuis deux ans en Ontario évoquent la connaissance du français comme critère d’embauche. Crédit photo: Gracieuseté

TORONTO –  Seulement 6 % des postes affichés depuis deux ans en Ontario évoquent la connaissance du français comme critère d’embauche, selon une nouvelle étude. Les postes du domaine des services à la clientèle seraient les plus nombreux à être offerts aux francophones ou travailleurs bilingues, selon ces nouvelles données.

ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER
efgauthier@tfo.org | @etiennefg

L’Ontario espère attirer des dizaines de milliers de nouveaux professionnels francophones au cours des prochaines années. Mais pourront-ils travailler dans leur langue et dans leur domaine?

Sur près 1,6 million de postes offerts, 95 000 (6%) faisaient une mention du français, selon la firme Mercer, auteure de l’étude. Fait important : ce chiffre tient compte des postes où le français est absolument nécessaire mais aussi… de tous ceux qui ne font que mentionner le français comme un simple « atout » non obligatoire à l’obtention d’un poste.

« Les statistiques nous montrent qu’il y a un problème. Ça affecte l’économie francophone. On peut penser que plusieurs postes où l’on cherche des gens bilingues ne sont pas affichés et rendus disponibles aux francophones. Peut-être manque-t-il aussi d’opportunités pour les francophones bilingues », affirme Léonie Tchatat, directrice générale de La Passerelle -I.D.É.

L’un des auteurs de l’étude, Jay Doherty, croit que plusieurs postes dédiés aux francophones pourraient ne pas être affichés, ce qui expliquerait ce faible pourcentage. « On peut croire que plusieurs employeurs peuvent chercher le français chez un candidat, mais qu’ils ne l’écrivent pas. Il faut peut-être s’intéresser davantage à cette problématique », dit-il. Une situation qui aurait pour résultante de limiter les choix de nombreux francophones à la recherche d’un emploi.

Les résultats de l’étude menée par la firme Mercer au nom de La Passerelle -I.D.É ont de quoi inquiéter, selon la présidente de cet organisme francophone. « On rencontre des milliers de clients avec de grands diplômes et ils ne trouvent pas d’emploi, parfois pendant plusieurs années. Ça fait pleurer (…) Ces données nous permettent de démystifier cette réalité dont on ne parle pas. Lorsqu’on va recruter des immigrants dans leur pays, on leur promet un tas d’opportunités pour les convaincre de venir. Il faut s’assurer qu’elles existent », affirme Mme Tchatat.

Elle insiste d’ailleurs sur l’importance de stimuler davantage la création d’entreprises francophones en Ontario. « Le français doit être une langue d’affaires, pas seulement de culture. Il faut rendre le français business-fashion pour qu’il ait plus d’opportunités économiques. Les revendications identitaires sont importantes, mais il faut peut-être penser aussi davantage à l’entrepreneurship francophone. »

Selon elle, il faut aussi connecter davantage les employeurs qui recherchent des employés bilingues et les personnes à la recherche d’un emploi. Il y a actuellement un fossé et un manque d’informations. Le Forum sur le capital humain francophone, pendant lequel ces données ont été dévoilées, compte déposer un rapport qui proposera des solutions pour régler cette problématique.

Le français surtout demandé dans la sphère des services

Les employés francophones ou bilingues sont en demande dans les domaines des services à la clientèle, du marketing et de la vente. Ces trois sphères sont au sommet des domaines où l’on compte le plus d’offres d’emplois mentionnant le français comme un atout ou une nécessité, selon l’étude de la firme Mercer.

Une information qui tend à confirmer que les francophones sont très en demande pour les postes en centres d’appels (les « call centers »), une sphère d’activité qui n’exige cependant pas un nombre élevé d’études postsecondaires. « Même si ce n’est pas parfait, les postes de service à la clientèle peuvent constituer une porte d’entrée vers une carrière », nuance Léonie Tchatat, qui croit que les professionnels francophones ne devraient pas nécessairement les écarter du revers de la main.

Catherine Chandler-Crichlow, coprésidente du Conseil de Développement des Talents bilingues francophones, voit d’un bon œil l’omniprésence des emplois de l’univers des services dans ce palmarès des offres d’emplois en ligne.

« Les premières positions nous montrent des domaines où il y a des interactions avec les gens. On peut croire que là où il y a une interaction avec le public, on a besoin des francophones », dit-elle.

Elle affirme que les grandes entreprises ont plus que jamais besoin d’employés bilingues. « On a cependant besoin de mieux comprendre le marché pour mieux informer les groupes impliqués et dire aux chercheurs d’emplois où sont ces opportunités », insiste-t-elle. À ce niveau, les agences de placement bilingues jouent un grand rôle. « Et leurs offres ne sont pas incluses dans les données de l’étude qui ne regardent que les postes affichés en ligne », insiste-t-elle.

Stimuler l’esprit entrepreneurial francophone

Le gouvernement doit aussi jouer davantage son rôle et être en mesure d’offrir aux francophones qualifiés des postes à leur niveau, selon Mme Tchatat. « Les services d’accueil et d’intégration doivent dépasser la capacité actuelle. Le visage des immigrants a changé. Ce ne sont plus seulement des réfugiés. Il y a des immigrants économiques et intellectuels. Ils sont prêts à se lancer, il faut leur donner des opportunités à leur hauteur », dit-elle. Selon Léonie Tchatat, il faut adopter de nouvelles stratégies plus agressives pour permettre l’intégration économique des francophones en Ontario.

Elle affirme cependant qu’en Ontario, la majorité des francophones ne peuvent pas espérer travailler principalement en français. « Ce n’est pas réaliste. Les francophones doivent s’encourager dans le bilinguisme. Le nombre d’organismes francophones n’est pas énorme », rappelle-t-elle.

Un représentant d’une grande entreprise de télécommunication canadienne a invité les francophones qualifiés à postuler davantage à différents postes dans leur domaine, même s’ils n’ont pas une maîtrise parfaite de l’anglais. « Dans notre industrie, nous cherchons plusieurs employés très qualifiés et dorénavant, nous préférons bien souvent des employés qui ont les connaissances et l’expérience avant leurs capacités linguistiques », a-t-il confié à #ONfr.

Cet intervenant, qui a tenu à conserver l’anonymat, raconte que plusieurs de ses collègues parlent à peine l’anglais, même à Toronto. « Ça provoque d’autres problèmes. Mais la langue n’a pas été pour eux une barrière à l’emploi. Le problème, c’est que les ressources humaines ne voient pas toujours les choses ainsi et bloquent de bonnes candidatures qui n’ont pas une langue parfaite », a-t-il soutenu en invitant les francophones à postuler à des postes mêmes s’ils n’ont pas toujours un anglais impeccable.