Langues autochtones : une occasion pour les francophones

La communauté francophone devrait appuyer les revendications linguistiques des Premières nations, selon la chroniqueuse Aurélie Lacassagne. Thinkstock

[CHRONIQUE]

Depuis quelques mois au Canada, les questions touchant les problématiques autochtones n’auront jamais autant été mises sur le devant de la scène et on ne peut que s’en féliciter. Le 30 mai, le gouvernement de l’Ontario a présenté des excuses officielles aux Premières nations « pour les politiques et les pratiques soutenues par les gouvernements du passé et pour tout le mal qu’elles ont causé » et « pour le silence de la province face aux abus et aux décès dans les pensionnats ». Il semble que la société canadienne se soit donc, enfin, décidée à entamer ce long travail qui comporte deux volets : un travail de mémoire et l’inclusion réelle des Autochtones dans la société et ce à tous les niveaux. Dans ce contexte, la francophonie canadienne a elle aussi une occasion à saisir.

AURÉLIE LACASSAGNE
Chroniqueuse invitée

Dans tous ces débats, il y en a un qui a été mentionné mais ne semble que timidement percer dans le débat public : celui des langues autochtones. On a beaucoup parlé du Rapport de la Commission de vérité et réconciliation en omettant qu’il fait mention de la préservation des langues autochtones, par exemple. Il y a quinze jours, l’ancienne gouverneure générale Adrienne Clarkson publiait une longue tribune dans le Globe and Mail sur l’importance vitale de cette question. Elle y rappelait que le Canada est riche de 60 langues autochtones regroupées en six familles linguistiques. Parmi elles, trois ressortent : le cri, l’ojibwé et l’inuktitut. Trente de ces langues ne sont parlées que par moins de mille locuteurs.

Au congrès du Parti libéral du Canada (PLC), à Winnipeg, fin mai, sur les 14 résolutions portant sur les Autochtones, on trouvait notamment, selon Radio-Canada, une demande d’alterner entre francophone, anglophone et Autochtone pour la nomination d’un gouverneur général et celle d’accorder le statut de langue officielle aux langues autochtones.

Dans le contexte mondial où l’on fait grand cas de la diversité linguistique, qui va de pair avec la diversité culturelle, et de l’importance de sauver ce patrimoine de l’humanité, le Canada a donc un rôle essentiel à jouer.

Où sont les francophones?

Ce qui me frappe le plus dans cette problématique, c’est l’absence complète de prise de position des francophonies canadiennes.

Pourtant, il m’apparaît évident que si les francophones en situation minoritaire au pays pensaient à faire une alliance avec les Peuples autochtones sur cette question fondamentale, on aurait beaucoup plus de chances de garantir nos droits linguistiques et d’obtenir les institutions que nous voulons, comme une université franco-ontarienne. Il y a, en effet, un problème éthique et une erreur de jugement patent à défendre nos droits en matière linguistique, tout en ignorant systématiquement ceux des Peuples autochtones.

Contrairement à ce que certains pourraient penser, les deux problèmes – et leurs solutions – ne sont pas mutuellement exclusifs; ils sont au contraire liés. Il faudra bien un jour que l’on se débarrasse du mythe des « deux peuples fondateurs ». Pour se faire, il faudra réintégrer au discours national la présence et le rôle des Peuples autochtones. La reconnaissance de leurs langues représente une étape obligée. On a tellement ressassé dans nos communautés francophones minoritaires que la langue jouait un rôle essentiel dans le bien-être des individus et des communautés que l’on devrait être les premiers à comprendre, défendre et aider les Autochtones dans leur quête de reconnaissance, préservation et épanouissement de leurs langues. Nous devrions être à l’avant garde de cette bataille et pourtant, c’est le silence radio le plus complet.

Ceux qui pensent que l’avancement des droits linguistiques autochtones affaiblirait nos droits linguistiques se trompent grandement. C’est ensemble que nous devons mener cette bataille parce qu’ensemble, nous serons plus forts et nous aurons une légitimité que la majorité anglophone ne pourra ignorer. Si ces derniers occupent la première place dans la hiérarchie sociale, politique et économique au Canada, c’est bel et bien parce que, comme dans toute aventure impérialiste, ils ont appliqué la règle d’or du « diviser pour mieux régner ». Mais ce n’est pas une fatalité; rien ne nous empêche de s’allier.

Une solution à promouvoir ensemble

Je vais donner un exemple concret de la manière dont nous pourrions avancer ensemble sur cette question : celle des districts bilingues. Je m’explique. Dans le Rapport de la Commission d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme de 1969, il existait une formidable recommandation qui aurait réglé une très grande partie de nos problèmes si elle n’avait pas été passée à la trappe, peut-être justement parce que c’était LA solution : la proposition faite dans le Livre I (p.110) du Rapport de créer des districts bilingues.

« 331. Nous allons donc proposer la création de districts bilingues, c’est-à-dire de zones spéciales à l’intérieur desquelles les compétences fédérale, provinciale et locales définiront et établiront un régime linguistique approprié. Ces districts seront des régions où la minorité officielle est assez importante pour justifier le genre de réorientation linguistique qui nous parait souhaitable. Nous allons proposer que le cadre du district bilingue soit défini principalement par la consolidation des groupes de la minorité linguistique officielle. Ce cadre géographique répondra ainsi à des besoins linguistiques réels. »

Ces districts bilingues devaient voir le jour dans les sept provinces non désignées bilingues, puisque le Rapport préconisait que le Québec, le Nouveau-Brunswick et l’Ontario deviennent des provinces bilingues, soit une autre recommandation passée à la trappe.

Ces districts auraient protégé les francophones de l’Ouest notamment, qui aujourd’hui ne bénéficient pas de régimes linguistiques très protecteurs. Les paliers fédéral, provincial et local auraient eu l’obligation d’offrir des services en français!

Plusieurs chercheurs ont souligné que la création de ces districts aurait complètement changé la réalité des communautés francophones du Canada. C’était une formidable idée que nous devrions nous attacher à replacer au centre du débat public et pour se faire, une alliance avec les Peuples autochtones semble naturelle.

En effet, comme je l’ai mentionné, il existe soixante langues autochtones. Inutile de dire que le débat risque de tourner court s’il s’agit de faire de ces soixante langues des langues officielles à l’échelle nationale. En revanche, on pourrait très bien imaginer la création de districts bilingues dans des régions spécifiques et délimitées territorialement là où il y a un certain nombre de locuteurs d’une langue autochtone. Autrement dit, l’anglais et le français ou l’anglais et une langue autochtone seraient mis sur un pied d’égalité dans certaines régions. Ils seraient en quelque sorte des langues officielles sur certains territoires. Cela me paraît une bonne illustration de ce que, ensemble, nous pourrions parachever, mais qui serait quasiment impossible à réaliser si nous restons chacun de notre coin à nous ignorer ou pire, à nous voir comme étant en compétition.

Bien entendu il ne s’agit que d’un des nombreux aspects touchant à la reconnaissance et l’épanouissement des langues autochtones. La liste des tâches à accomplir est longue : l’enseignement des langues autochtones dans les écoles, en premier lieu, qui permettra d’accroître le nombre de locuteurs et donc, le développement de littératures en langues autochtones qui formeront le creuset de cultures permettant une fierté et une identité retrouvée. L’apprentissage de ces langues par les autres Canadiens en est une autre afin de permettre l’échange, le respect, la connaissance et au final, la cohésion nationale et sociale. Il faudra aussi s’assurer de la visibilité de ces langues dans l’espace public. Bref, tout ce à quoi nous nous sommes attelés depuis 150 ans pour que le français survive.

C’est un beau chantier et un sacré défi qui se profile à l’horizon. Ne passons pas à côté de l’Histoire encore une fois!

Aurélie Lacassagne est professeure agrégée en sciences politiques à l’Université Laurentienne. 

Note : Les opinions exprimées dans cette chronique n’engagent que son auteure et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.