L’anglais domine chez les jeunes francophones hors Québec

Avec le télétravail et l'éducation en ligne, les Ontariens ont de plus en plus recours à l'internet en temps de confinement. Crédit image: Archives ONFR+

OTTAWA – Hors de l’école, dans leurs loisirs personnels, les jeunes francophones vivant en milieu minoritaire utilisent majoritairement l’anglais, selon une étude de Statistique Canada, publiée à la fin de l’année 2015.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

L’étude, intitulée Pratiques linguistiques des enfants issus de familles francophones vivant dans un environnement linguistique minoritaire, dresse un constat sans appel de l’engouement des jeunes de moins de 18 ans pour la langue de Shakespeare.

Menée auprès de 9705 enfants et tirée des données de l’Enquête sur la vitalité des minorités de langue officielle de Statistique Canada, en 2006, l’étude s’intéresse à la langue utilisée par les enfants lors de l’écoute de la télévision, la navigation sur Internet, la pratique d’activités sportives ou non sportives organisées ou encore pour la lecture.

Si l’étude a été réalisée à partir de données de 2006, elle reste pertinente l’un des deux auteurs, René Houle.

« Même si ce sont des données de 2006, des phénomènes comme ceux observés ne changent pas si rapidement. Il n’y a pas de grandes variations d’un recensement à l’autre. Toutefois, il serait intéressant d’ajouter les pratiques de ces jeunes francophones sur les médias sociaux dans le futur. »

Dans quatre des cinq activités étudiées, les deux auteurs, Émilie Lavoie et M. Houle, constatent une utilisation prédominante de l’anglais chez les enfants des communautés francophones  en situation minoritaire. L’écoute de la télévision et la navigation sur Internet sont particulièrement marquées par cette tendance, selon l’étude qui rapporte des cas où l’utilisation de l’anglais dans ces activités est supérieure à 90% des jeunes. La prédominance de la langue de la majorité s’accentuerait encore davantage chez les enfants entre 12 ans et 18 ans.

« Cela pourrait toutefois s’expliquer par le changement de fréquentation d’une école primaire francophone vers une école secondaire anglophone, comme l’avaient montré Jean-Pierre Corbeil Sylvie et Lafrenière dans leurs travaux, en 2010 », nuance M. Houle.

La résistance du français dans le domaine de la lecture suivrait le même phénomène, puisque souvent les enfants lisent des livres par l’intermédiaire de leur école, où la lecture fait partie du cursus scolaire.

« Il y a plusieurs facteurs qui expliquent la prédominance de l’anglais chez ces enfants. Le contexte familial joue forcément. Dans des couples exogames, la transmission est plus forte si la mère est francophone que si c’est le père qui est francophone, par exemple. De même, les enfants de parents francophones recourent davantage au français. Enfin, l’utilisation du français varie selon l’environnement dans lequel évoluent les enfants, selon que ce milieu soit fortement francophone ou non. »

Le statisticien, qui a cosigné un article sur la transmission de la langue française au sein des familles exogames et endogames francophones au Canada, en 2014, refuse de s’alarmer.

« Notre étude ne recèle pas vraiment de surprises car c’est un phénomène que nous avions déjà observé auprès des adultes dans d’autres études auparavant. Ce portrait ne veut pas non plus dire qu’il y a plus d’assimilation chez les jeunes. La transmission de la langue française se maintient à peu près au Canada, même si elle n’est pas très élevée hors Québec, puisqu’on parle d’un taux de transmission d’environ 50%. Plus on s’éloigne du Québec, et plus la transmission du français est faible. »

Le Nouveau-Brunswick moins touché

Ainsi, le Nouveau-Brunswick, comme les régions ontariennes limitrophes du Québec, est moins concerné par la prédominance de l’anglais, même si elle demeure. Le Nouveau-Brunswick est la seule province où les enfants utilisent davantage le français que l’anglais dans trois des cinq activités identifiées, soit en lecture, et dans leurs activités sportives et non sportives organisées. Le sud de l’Ontario, en revanche, est plus touché du fait d’un moins grand nombre de francophones et du manque d’infrastructures.

« Plus il y a d’infrastructures adéquates, plus la communauté francophone a du poids, plus le français est utilisé. Le Nouveau-Brunswick fournit un bon exemple : la vie culturelle en français y est encouragée, il y a une forte vitalité et identité de la communauté francophone et cela se ressent dans l’utilisation du français chez les jeunes. »

Message contre-productif

Sylvia Kasparian, professeur au Département d’études françaises à l’Université de Moncton, relativise toutefois les conclusions de cette étude.

« Des études comme celle-ci manquent de nuance et ne nous apprennent pas grand-chose que nous ne savions déjà. Il faudrait être beaucoup plus précis, tenir compte des localités et des réalités, car la francophonie canadienne en milieu minoritaire n’est pas homogène. »

Pour Mme Kasparian, l’approche développée auprès des jeunes est contreproductive.

« Des études comme celles-ci me dérangent un peu car elles contribuent à faire culpabiliser les enfants qui utilisent l’anglais. Mais les jeunes n’ont pas pour vocation de sauver la langue française! Les faire culpabiliser les en détourne encore davantage selon moi! Il faut avoir confiance en notre langue, se rendre compte que c’est une grande langue, associée à une grande culture et transmettre ce message plutôt. »