La gestion de l’offre, un enjeu dans l’Est ontarien

Crédit image: Benjamin Vachet

SARSFIELD – En Ontario, comme dans la province voisine du Québec, la conclusion du Partenariat transpacifique (PTP) a eu de nombreux échos. Il faut dire que l’Ontario compte plusieurs régions rurales qui sont concernées par l’ouverture annoncée des marchés canadiens aux entreprises étrangères. C’est notamment le cas dans l’Est ontarien, dans la circonscription de Glengarry-Prescott-Russell, où l’accord pourrait avoir un impact jusque dans les urnes.

Propriétaire d’une ferme laitière de 110 vaches, Philippe Etter est inquiet. Ce jeune agriculteur, vice-président de l’Union des cultivateurs franco-ontariens (UCFO), a repris la ferme familiale Mont-Vully, à Sarsfield, il y a trois ans. Il a suivi de près les négociations à Atlanta. Comme de nombreux agriculteurs de la région, il craint que l’ouverture du marché des produits laitiers canadiens à 3,25% sur 5 ans pour les pays signataires ne menace les fermes familiales comme la sienne.

« Je ne suis pas contre les traités de libre-échange et je comprends que le Canada doive en faire partie, mais c’est un coup dur après l’accord déjà conclu avec l’Union européenne. Ce sont des parts de marché en moins qui à terme, menace notre système de gestion de l’offre qui protège les plus petits producteurs ».

Le système de gestion de l’offre a été mis place au début des années 70 pour stabiliser les prix du secteur agricole et assurer les revenus des producteurs de lait, d’œufs et de volaille. Le gouvernement fédéral impose ainsi des quotas de production aux agriculteurs et en échange, maintient un accès limité des producteurs étrangers au marché canadien. Le directeur général de l’UCFO, Simon Durand défend un système qui selon lui a fait ses preuves.

« Le gouvernement fédéral nous promet des compensations à hauteur de 4,3 milliards de dollars, mais très franchement, nous aurions préféré garder le système de gestion de l’offre dans son intégralité. Cette ouverture va un peu à l’encontre du mouvement de souveraineté actuelle et de la volonté de l’Ontario, comme des Canadiens, de manger local et d’encourager les entreprises de leurs régions », explique M. Durand.

Économise agricole à l’Université de Guelph, Sylvain Charlebois se montre plus mesuré. Si le système de gestion de l’offre a eu son intérêt, il pense que le PTP peut permettre à l’industrie laitière de se repenser.

« N’oublions pas que depuis 1970, nous avons perdu plus de 100 000 fermes laitières et que le nombre de producteurs est de moins en moins grand. Ce partenariat peut ouvrir des perspectives à long terme pour les producteurs. Ils vont devoir se questionner sur leur avenir pour devenir plus compétitif et gagner des marchés. Les coûts de production de lait sont trop élevés au Canada. Il va y avoir des choix difficiles à faire et certains producteurs vont sans doute être incités à quitter l’industrie », croit-il.

Une perspective qui ne traverse pas encore l’esprit de M. Etter qui attend d’avoir tous les détails de l’entente avant de s’inquiéter. Il reconnaît toutefois que la perte de parts de marché va freiner ses investissements.

« Ça va être dur d’aller chercher des parts de marché à l’extérieur car nous sommes en compétition avec de gros producteurs comme l’Australie et les États-Unis qui ont déjà beaucoup d’excédents à répandre sur les marchés internationaux. De plus, nous ne nous battons pas à armes égales car nous avons des normes bien plus élevées ici en termes de protection de l’environnement, de respect animal et de qualité de produits… ».

M. Durand acquiesce : « Je ne suis pas sûr que le coût environnemental et social en vaillent vraiment la peine pour le Canada, même s’il est vrai que d’autres secteurs vont profiter de cette entente comme l’industrie porcine ou du bœuf. Dans l’idéal, nous aurions voulu que le lait, les œufs et la volaille soient exclus de l’entente ».

Manque de transparence

Toujours est-il qu’à quelques jours des élections, ce dossier pourrait influencer la décision des électeurs dans Glengarry-Prescott-Russell.

« Je crois que ça va jouer sur le vote car plusieurs agriculteurs sont perplexes. Pour l’instant, on attend d’avoir tous les détails pour savoir quel parti a la meilleure position, mais ce qui nous dérange, c’est le manque de communication et de transparence dans ce dossier », reproche M. Etter.

Député sortant dans Glengarry-Prescott-Russell et ancien Secrétaire parlementaire pour l’Agriculture et l’Agroalimentaire, le candidat conservateur Pierre Lemieux se montre plutôt confiant.

« C’est un accord très important qui va favoriser notre économie, tout en assurant que nous gardions le contrôle de 90% de notre marché canadien. Le président des Producteurs laitiers du Canada, Wally Smith l’a souligné : il n’y aura aucun impact négatif et la gestion de l’offre est ainsi conservée pour la prochaine génération. Les agriculteurs de ma région savent que je travaille pour eux ».

Dans leur communiqué, les Producteurs laitiers du Canada se montrent un peu moins dithyrambiques.

« Nous aurions évidemment préféré qu’aucun nouvel accès au marché n’ait été concédé dans le secteur laitier, a déclaré le président des Producteurs laitiers du Canada, Wally Smith. Nous reconnaissons toutefois que notre gouvernement a lutté ardemment contre les revendications des autres pays et qu’il a allégé le fardeau des pertes en annonçant des mesures d’atténuation et ce qui semble être un plan compensatoire équitable pour minimiser l’impact sur les producteurs de lait canadiens et pour compenser la perte de croissance du marché intérieur.(…) À l’instar de mes collègues producteurs de lait, je suis déçu de constater qu’un accès additionnel à notre marché a été concédé dans le cadre de cet accord ».

L’adversaire libéral de M. Lemieux dans la circonscription, Francis Drouin, doute que le PTP puisse avoir autant d’impact que suggéré.

« Cet accord n’est pas encore ratifié et le problème aujourd’hui, c’est plutôt l’importation de plus grande quantité de protéines liquides des États-Unis. D’une manière générale, je pense que les agriculteurs de ma région ont besoin d’une voix forte pour les représenter et défendre leurs intérêts. Nous devons défendre nos fermes familiales car elles favorisent l’économie locale ».