Justice : Joly ouvre la porte à une revendication des francophones 

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OTTAWA – La ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, dit étudier la possibilité d’élargir le futur nouveau Programme de contestation judiciaire (PCJ) à la partie VII de la Loi sur les langues officielles (LLO) qui concerne la promotion de l’anglais et du français. Une demande de longue date de la communauté francophone en situation minoritaire qui espère toutefois davantage.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

Au détour de son discours de clôture lors de la consultation sur les langues officielles à Moncton, le 16 août dernier, la ministre Mélanie Joly a ouvert la porte à ce changement qui permettrait aux individus ou aux organismes d’obtenir du financement pour contester les décisions du gouvernement fédéral s’ils estiment que celui-ci manque à ses obligations en vertu de la partie VII de la LLO.

« Dans le contexte de relance du Programme de contestation judiciaire, j’ai demandé à mon équipe de regarder s’il serait possible d’inclure la partie VII de la Loi sur les langues officielles au programme ce qui serait vraiment important parce qu’à ce moment-là, on s’assurerait que les droits linguistiques en lien avec la vitalité culturelle seraient protégés. Je suis consciente de l’impact de cette ouverture, mais je trouverais ça positif pour nos communautés. »

La partie VII de la LLO précise que :

« Le gouvernement fédéral s’engage à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement, ainsi qu’à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne. »

La déclaration de la ministre Mélanie Joly a de quoi encourager la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada qui demande depuis longtemps un élargissement du mandat du PCJ.

« Ce n’est pas la première fois que la ministre évoque cette possibilité depuis le début de l’été et ce serait assurément une bonne nouvelle si ça se concrétisait. Cela donnerait la possibilité aux communautés de clarifier les obligations du gouvernement fédéral et de ses institutions par rapport à la partie VII. Cela reste difficile pour des organismes ou des individus d’avoir recours aux tribunaux car cela nécessite d’importantes ressources financières. Ce serait donc important de pouvoir recevoir une aide via le Programme de contestation judiciaire », juge la présidente, Sylviane Lanthier.

Actuellement, le Programme d’appui aux droits linguistiques (PADL), qui a remplacé le PCJ sous le gouvernement conservateur en 2009 à la suite d’une entente hors cour, permet aux individus et aux organismes d’obtenir une aide financière uniquement pour des causes qui contribuent à faire avancer et à mieux définir les droits linguistiques constitutionnels. Ouvrir ce programme à la LLO, une loi « quasi-constitutionnelle » selon les spécialistes, serait assurément une bonne chose selon le professeur de droit à l’Université d’Ottawa, Pierre Foucher.

« Les termes utilisés dans la LLO peuvent être interprétés de différentes manières, c’est pour ça qu’il est important que les tribunaux puissent les préciser. Par exemple, qu’est-ce qu’une mesure positive pour les communautés francophones en situation minoritaire? Toute loi a besoin de clarification pour être appliquée. Et puis, comme professeur, cela ferait également d’intéressants objets d’études », ajoute-t-il en souriant.

Concrètement, cela donnerait un nouvel outil aux communautés de langues officielles en situation minoritaire lorsqu’elles sentent que le gouvernement fédéral les oublie.

« Des décisions comme celle d’abolir le formulaire long obligatoire du recensement pourraient ainsi être contestées avec l’aide du programme de contestation judiciaire », illustre l’avocat et professeur de l’Université de Moncton, spécialiste des droits linguistiques, Michel Doucet. « De plus, cela permettrait de financer des recours afin de clarifier les obligations de certaines institutions récalcitrantes, comme Air Canada. »

Mme Lanthier prend également comme exemple la diminution des investissements publicitaires du gouvernement fédéral dans les journaux communautaires francophones qui pourrait être contestée devant les tribunaux, via une aide du PCJ, puisque cette décision nuit à la vitalité des communautés de langue française hors Québec.

Une enveloppe à revoir

Toujours est-il que si le gouvernement décide d’emprunter cette voie, cela aura nécessairement un impact sur le nombre de recours devant les tribunaux, comme l’a laissé entendre Mme Joly.

Dans ce contexte, le gouvernement devra sans doute penser à augmenter l’enveloppe prévue pour le PCJ car actuellement, le PADL peine à répondre à toutes les demandes. Depuis sa création en remplacement du PCJ, le PADL a traité 220 demandes relatives aux droits constitutionnels, dont 155 ont reçu du financement. En novembre dernier, sa directrice générale, Geneviève Boudreau, expliquait recevoir de plus en plus de requêtes et toutes ne peuvent être considérées faute de moyens. En 2013-2014, trois demandes jugées recevables n’ont ainsi pu recevoir de financement; en 2014-2015, ce chiffre est passé à sept demandes.

Malgré l’annonce de fonds supplémentaires à hauteur de 12 millions$ sur cinq ans dans le dernier budget, il n’est pas garanti qu’un budget de 5 millions$ par année soit suffisant.

« Il y a très peu de jurisprudence par rapport à la Partie VII de la LLO, cela veut sans doute dire qu’il risquerait d’y avoir beaucoup de demandes car actuellement, ceux qui pourraient être tentés de le faire sont limités pour des raisons financières », reconnaît M. Foucher. « En cas d’élargissement, il faudrait augmenter les ressources et déterminer des critères pour l’obtention d’une aide. »

Pour M. Doucet, une augmentation de l’enveloppe budgétaire est nécessaire mais pas uniquement.

« Le PADL qui finance actuellement ces causes utilise aussi une partie de son budget pour financer de la médiation, des conférences, de la recherche, donner de l’information au public… En allégeant l’administration du PADL et en supprimant la part consacrée à ces tâches, cela permettrait déjà de dégager de l’argent pour financer de nouvelles causes. »

Selon les chiffres du rapport 2014-2015 du PADL, sur 1,5 million$ de budget annuel, 700000$ sont consacrés aux recours judiciaires.

Une première étape

Si l’idée a donc de quoi séduire les organismes francophones, elle ne constitue toutefois qu’une première étape, selon la FCFA.

« C’est une ouverture intéressante, mais à terme, on voudrait que le programme de contestation judiciaire soit élargi à toutes les lois fédérales qui ont un impact sur les droits linguistiques. »

Un avis que partage M. Doucet.

« Il faut espérer que le gouvernement ne se limite pas à la Partie VII, mais ouvre le programme à toute la loi. Cela démontrerait un engagement sérieux de la part du gouvernement envers ses obligations linguistiques. »

L’avocat considère également qu’à terme, le PCJ pourrait s’ouvrir à la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick. Il reconnaît toutefois le caractère unique de ce programme financé par le gouvernement fédéral et qui permet d’en contester les décisions devant les tribunaux.

Lors des consultations devant le comité permanent de la justice et des droits de la personne au printemps, la FCFA avait également plaidé pour une nouvelle approche dans le cadre du rétablissement du PCJ.

« Ce que nous voulons, c’est un organisme de défense des droits linguistiques créé par une loi fédérale. Il serait géré par une fondation redevable devant le parlement et dont le conseil d’administration serait nommé par le gouvernement. Son financement serait basé sur un fonds de dotation, ce qui permettrait d’éviter qu’il ne dépende des fluctuations du budget fédéral. Cela permettrait d’assurer la pérennité d’un outil pour aider les minorités à faire valoir leurs droits linguistiques devant les tribunaux quand c’est nécessaire, au lieu d’avoir à défendre un programme remis en cause tous les trois, quatre ou cinq ans », avait alors expliqué Mme Lanthier à #ONfr.

Avant d’en arriver là, il reste du chemin à faire. Invitée à préciser les propos tenus par la ministre Joly à Moncton sur l’élargissement du PCJ, son bureau a tenu à calmer les ardeurs.

« C’est une option que nous étudions », s’est contenté de commenter son équipe dans un échange de courriels avec #ONfr.