« Je me suis demandé si j’étais la bonne personne »

Le commissaire aux services en français de l'Ontario, François Boileau.

TORONTO – Le 1er août 2007, les Franco-Ontariens entendaient probablement pour la première fois le nom de François Boileau. L’avocat vient d’être nommé à la tête du Commissariat aux services en français de l’Ontario, tout juste crée.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

Dix ans plus tard, Me Boileau est l’une des figures les plus respectées des Franco-Ontariens. Au point que ses rapports annuels à la fin du printemps, ou encore ses interventions, sont toujours scrutées à la loupe.

De ces quasi dix ans à la tête du Commissariat (Me Boileau est entré en fonction le 4 septembre 2007), on retient souvent un moment : son indépendance vis-à-vis de l’Office des Affaires francophones (OAF). Consacrée le 11 décembre 2013, elle donne au « chien de garde aux services en français » le rôle d’officier du Parlement. Pouvoir élargi, présence plus grande des francophones à Queen’s Park, la nouvelle est aussitôt célébrée.

Sauf que dans les coulisses, ce nouveau statut vire vite au casse-tête pour Me Boileau. La raison? La transition se fait sans un dollar supplémentaire. « Je me suis retrouvé avec la même somme d’environ 900 000 $, mais de laquelle 179 000 $ étaient consacrées pour payer les voyages, les déplacements en province, les frais informatiques, ou encore les ressources administratives, des frais qui étaient autrefois gérés par le gouvernement. »

Dans le même temps, la Commission de régie interne, qui passe en revue et autorise les politiques opérationnelles relatives au Bureau de l’Assemblée, reste sourde aux demandes du commissaire. Début 2014, son passage devant la Commission pour proposer un plan budgétaire n’est guère concluant.

« Je dois avouer que je l’ai pris, un peu à tort, personnellement. J’en veux à la logique des coupes (budgétaires) transversales. »

Et de lâcher : « Ça a été des moments extrêmement pénibles. J’ai eu des moments où je me demandais si j’étais la bonne personne. J’ai toujours été un fervent croyant en la démocratie, et je n’étais pas capable de convaincre la Commission de régie interne. »

Or, moins de ressources, c’est aussi moins de capacité de traiter les plaintes reçues, moins de capacité de communiquer efficacement. Une situation intenable.

« Ça a duré plusieurs mois. J’ai finalement réussi à convaincre Madeleine Meilleur (alors ministre déléguée aux Affaires francophones). Elle nous a beaucoup aidé. Le 13 février 2015, j’ai finalement reçu des budgets qui m’ont permis de démarrer. »

Deux ans et demi plus tard, Me Boileau savoure le chemin parcouru. « Si j’en parle maintenant, c’est parce que tout cela est derrière moi. » Et pour cause, le Commissariat a pris du galon depuis 2013. Le nombre d’employés est passé de six à treize, le budget avoisine maintenant les 2 millions de dollars. En juin 2016, Me Boileau et ses employés installaient leurs bureaux sur la rue Bay. « Une différence spectaculaire, avec des équipements à la pointe de la technologie. »

Vers des rapports plus spécifiques et plus courts

Le commissaire est en tout cas formel : « Tout le retard est aujourd’hui rattrapé ». Une situation financière plus confortable qui lui donne manifestement quelques idées.

« Nous allons aller faire plus de rapports spécifiques dévoilés au courant de l’année, des rapports plus courts aussi. »

Une nécessité pour Me Boileau, d’autant que si les plaintes se sont estompées depuis dix ans dans certains domaines à l’instar des communications unilingues du gouvernement, celles-ci restent anormalement élevées sur d’autres sujets. À commencer par les services de soins de longue durée.

« La question des lits offerts aux patients francophones reste plus que jamais d’actualité. C’est justement ce type d’enjeu que l’on aimerait mettre plus spécifiquement en avant. Aussi, sur le dossier de l’immigration francophone par exemple, nous aimerions faire des interventions plus ponctuelles, et plus marquantes. »

Autre méthode à améliorer selon le chien de garde aux services en français : l’anticipation. « Nous devons être là au bon endroit et au bon moment. Par exemple, sur la Loi 41 sur les services de santé, on (le Commissariat) a peut-être été là trop tard. Je ne suis pas certain qu’on a été efficaces. »

Le commissaire le reconnaît : il faudra lors des prochains mois une présence accrue « auprès de ceux qui prennent les décisions ».

Parallèle avec le ministère aux Affaires francophones

Reste que cette entrevue coïncide avec l’annonce ce lundi de l’autonomie du ministère des Affaires francophones de l’Ontario. Un pas en avant, qui fut d’ailleurs l’une de ses nombreuses recommandations, et annoncée donc quasiment 10 ans jour pour jour après sa nomination.

L’enjeu d’une enveloppe supplémentaire n’est pas sans rappeler celui du Commissariat en 2013. « Quand on nous disait à l’époque que ça allait être fiscalement neutre, c’est sensiblement ce qui va arriver aux Affaires francophones. Mais il y aura du financement pour le ministère, je ne peux pas imaginer un autre scénario. »