Immigration francophone en Ontario : plaidoyer pour une intégration culturelle

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[CHRONIQUE]

Les années de gouvernement Harper ont été marquées, entre autres, par de nombreux changements dans les politiques d’immigration au Canada, se concentrant presque uniquement sur l’intégration économique des nouveaux arrivants.

AURÉLIE LACASSAGNE
Chroniqueuse invitée

Parmi toutes ces modifications, j’en retiendrai deux. Premièrement, les politiques et programmes ont mis l’accent quasi exclusivement sur l’intégration économique des nouveaux arrivants. On a donc oublié que le succès d’un parcours migratoire repose sur un continuum de l’intégration réussie : à savoir reconnaître l’enchevêtrement des intégrations économique, politique, sociale et culturelle, et mener de front et de manière concomitante ces intégrations car elles sont interdépendantes.

À Sudbury, j’ai connu de nombreux immigrants francophones qui étaient parfaitement intégrés économiquement mais sont vite repartis parce qu’ils n’avaient pas réussi leur intégration dans le tissu culturel et social de la communauté franco-sudburoise.

Est-ce que c’était un manque de volonté ou d’intérêt de leur part ou un échec de la communauté d’accueil? Voilà une question qui mériterait un examen plus approfondi, mais il est certain que le lâchage du Contact Interculturel Francophone de Sudbury par Citoyenneté et Immigration Canada n’a pas aidé.

Deuxièmement, il faut reconnaître l’effort financier de ce gouvernement en matière d’immigration dans les communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM). L’application des feuilles de route en la matière a parfois laissé à désirer, mais force est de reconnaître qu’il y avait une volonté politique dans les hautes sphères.

C’est particulièrement frappant en comparaison avec le gouvernement de l’Ontario pour qui la question n’a même jamais effleuré l’esprit des gouvernants. Ces toutes dernières années, Queen’s Park s’est réveillé, a développé une stratégie d’immigration en 2012, laquelle cible 5% d’immigration francophone en Ontario. Mais si vous lisez le texte de loi, vous verrez qu’en dehors de cette cible, il n’y a strictement rien, surtout pas d’indication sur les moyens d’atteindre cet objectif.

Une question fondamentale

Bref, dans ce débat, je crois qu’on oublie une question fondamentale ou plutôt qu’on refuse de poser la question qui dérange : quel est le véritable objectif d’une politique favorisant l’immigration francophone en Ontario, et dans les autres provinces hors Québec?

De la part du gouvernement fédéral, il s’agit de respecter la Loi sur les langues officielles (voir l’article 41) qui oblige chaque ministère à démontrer qu’il agit et met en place des programmes désignés à l’épanouissement des CLOSM.

De la part du gouvernement provincial, je pense qu’il ne sait pas trop ce qu’il fait, ne comprenant pas vraiment cet enjeu-là. C’est tellement loin pour lui ces affaires franco-ontariennes, tellement folklorique! Alors une cible de 5%, ça ne mange pas de pain.

Mais les communautés franco-ontariennes, celles du nord, celles de l’est, celles des petits villages du sud-ouest, savent pourquoi l’immigration francophone est importante, essentielle même. Il s’agit d’enrayer le déclin démographique, de sauver nos écoles, de justifier l’accès aux services en français. Parce que, soyons honnêtes, il faut le justifier et il faudra le faire encore plus dans les années à venir… Voici les arguments couramment avancés.

L’immigration contribue à notre épanouissement culturel

Ce qu’on oublie souvent dans cet argumentaire et pourtant c’est primordial, c’est que l’arrivée d’immigrants francophones contribue à notre épanouissement culturel! Les communautés franco-ontariennes sont des communautés culturelles, ce ne sont des communautés ni politiques, ni linguistiques.

En d’autres termes, si ces immigrants d’expression française ne font que parler le français, c’est bien, ça fait du chiffre, ça fait monter les statistiques, etc. Mais alors, on a complètement raté le coche. Nos communautés demeureront dans la survivance mais elles ne s’épanouiront pas.

Aujourd’hui, la plupart des immigrants d’expression française arrivent dans la région de Toronto ou d’Ottawa. Pour beaucoup d’entre eux, la relation entretenue avec la langue française est trouble : elle reste la langue coloniale, une langue qui fut imposée à leur pays d’origine, une langue apprise à l’école souvent parce qu’elle apparaissait comme un outil pour fuir la misère.

Il faudrait donc sérieusement se poser la question : ces personnes transmettront-elles cette langue à leurs enfants autrement que par simple stratégie d’insertion professionnelle, le fameux avantage bilingue? Pourquoi le voudraient-elles?

Par ailleurs, les nouveaux arrivants s’installent dans deux métropoles où sont déjà établies des communautés « ethnoculturelles » auxquelles ils vont assez naturellement s’intégrer. Une famille sénégalaise qui arrive à Toronto va s’intégrer avec la communauté sénégalaise, voire à un groupe plus restreint auquel elle s’identifie, les autres familles sérères, par exemple.

Je comprends tout à fait ce choix et parcours d’intégration. Je comprends qu’un immigrant veuille se définir comme francophone mais non comme franco-ontarien. Je comprends que la langue française ne soit perçue que de façon instrumentale. Mais alors, il faut accepter que cela ne sauvera pas les communautés franco-ontariennes du dépérissement.

Dans ce contexte, il y a une prise de conscience absolument nécessaire qui doit avoir lieu de l’importance de l’intégration culturelle – entendue comme contacts et échanges culturels entre les communautés d’accueil et les communautés immigrantes. Il faut impérativement que les nouvelles politiques et les nouveaux programmes qui seront mis en place par le gouvernement de Justin Trudeau soutiennent financièrement l’intégration culturelle et favorisent ces rencontres culturelles. C’est à partir de celles-ci que la culture franco-ontarienne pourra continuer à se créoliser et donc à s’épanouir, à se projeter dans l’avenir, bref à vivre et non survivre.

Aurélie Lacassagne est professeure agrégée en sciences politiques à l’Université Laurentienne.

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