Francophonie ontarienne : pourquoi tout débloque maintenant?

TORONTO – L’université franco-ontarienne, le statut bilingue d’Ottawa et la gouvernance francophone du Centre Jules-Léger : ces trois dossiers majeurs de la francophonie ontarienne sont sur le point de connaître des avancées significatives. Le tout à six mois de l’élection générale en Ontario. Une chronologie qui peut laisser songeur. Des observateurs apportent leur éclairage sur la stratégie gouvernementale.

ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER
efgauthier@tfo.org | @etiennefg

« C’est le temps! » – Bernard Granmaître

Le père de la Loi sur les services en français, Bernard Grandmaître, estime que le gouvernement a bien joué ses cartes au cours des derniers mois en ce qui concerne les dossiers francophones. « Il y a eu des progrès exceptionnels depuis trois ou quatre mois », lance-t-il en référence aux annonces de cette semaine, mais également de la naissance d’un ministère des Affaires francophones à part entière dans la province.

« On va les accuser de jouer le jeu politique, mais tous les partis le font. Tous les gouvernements le font, pourquoi pas les libéraux? On attend toujours à la dernière minute, mais on va de l’avant, c’est ça l’important », lance l’ancien député d’Ottawa-Vanier. « C’est le temps! », ajoute-t-il.

Il ne manque pas l’occasion d’écorcher ses anciens adversaires. La proposition des libéraux sur Ottawa vient régler le problème de Loi de 1999 sur la ville d’Ottawa qui avait été adoptée par les conservateurs et qui était « une véritable coquille vide » en matière de bilinguisme, dit-il.

« Chaque vote compte » – Stewart Kiff

Les gestes posés cette semaine par le gouvernement Wynne pour les Franco-Ontariens sont le résultat d’un changement important sur l’échiquier politique, croit pour sa part le président de Solstice affaires publiques, Stewart Kiff.

« Le grand changement qu’on a connu est la position des progressistes-conservateurs dans le dossier de l’université franco-ontarienne. Il y a un appui de Patrick Brown, alors qu’avant Tim Hudak n’était pas aussi clair, ce n’était pas un appui sincère », explique celui qui conseille et représente différents groupes franco-ontariens face au monde politique.

Le positionnement des conservateurs auprès de l’électorat francophone a forcé les libéraux à s’adapter, croit-il. « Les libéraux voient l’université franco-ontarienne comme un dossier permettant de protéger son aile gauche. Des circonscriptions libérales sont sous pression, qu’on parle de Glengarry-Prescott-Russell, d’Ottawa-Vanier ou d’autres qui ont un nombre significatif de francophones. Chaque vote compte. Et les libéraux ne veulent pas donner une seule raison aux électeurs de voter conservateur », observe-t-il.

En aucun cas, les libéraux ne souhaitaient devoir se défendre quotidiennement sur l’université franco-ontarienne ou le bilinguisme d’Ottawa pendant la campagne, croit-il. « Personne ne peut nier la grandeur du geste. Ça dépasse la symbolique et il y a une implication économique. L’approche des élections forçait le gouvernement à être plus clair dans ses intentions », souligne Stewart Kiff.

« Les annonces électoralistes font partie de l’histoire des Franco-Ontariens » – Serge Miville

« Les annonces électoralistes font partie de l’histoire des Franco-Ontariens », affirme Serge Miville, professeur à l’Université Laurentienne et directeur de la Chaire de recherche en histoire de l’Ontario français.

Le projet de loi déposé par le gouvernement s’appuie cependant sur des bases fragiles, selon le chercheur, faisant référence au rapport du comité consultatif présidé par Dyane Adam.


« Ne pas débattre du rapport Adam alors que l’ensemble du réseau associatif et plusieurs chercheurs avaient critiqué sa composition, son Toronto-centrisme et son déroulement est incompréhensible et troublant » – Serge Miville


Dans cette optique, Serge Miville s’étonne de l’enthousiasme du Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO). « Le RÉFO répète avec beaucoup d’intensité que son désir principal est de voir l’adoption d’un projet de loi à la vitesse de lumière sans même réfléchir sur le sens que prend ce projet. Où est le débat? Ont-ils lu le rapport Adam? L’absence de débat sur la question et l’impatience du réseau associatif peut mener à un scénario dans lequel on nous passe un sapin et on rate une occasion d’avoir une solution permanente et, surtout, globale », ajoute-t-il.

« Qu’est-ce qu’on applaudit au juste? » – François Charbonneau

« C’est la norme de faire ce type d’annonce pour aller chercher des votes », affirme François Charbonneau, politologue de l’Université d’Ottawa et membre du comité de direction du Centre de recherche en civilisation canadienne-française. Mais il n’achète pas le discours gouvernemental qui avance que l’université est « par les francophones et pour les francophones ». Une contradiction énorme est présente dans les déclarations officielles, à son avis.

« Si cette idée du par les francophones et pour les francophones est bonne pour la nouvelle université à Toronto, pourquoi n’est-elle pas bonne pour les universités à Ottawa et à Sudbury? », dit-il. « Il n’y a pas de stratégie globale cohérente. Qu’est-ce qu’on applaudit au juste? Ça règle quel problème? Je comprends la communauté de se féliciter. Quand on a peu à se mettre sous la dent, on est content de se faire offrir une petite graine à grignoter. Mais c’est objectivement très peu », ajoute-t-il de manière imagée.

Le gouvernement s’efforce de séduire les francophones, sans se mettre à dos l’électorat anglophone en misant sur un projet de loi omnibus, qui mêle différents dossiers, croit-il. « Ça peut permettre d’éviter que ça atteigne les oreilles de gens contre le bilinguisme. On se rappellera qu’en 1986, plusieurs ont rouspété contre la Loi sur les services en français, là on diminue le risque de critiques », affirme M. Charbonneau.

Pas électoraliste, selon Marie-France Lalonde

Trois dossiers francophones qui débloquent à six mois des élections. Électoraliste? « Pas du tout », a tranché la ministre des Affaires francophones, Marie-France Lalonde, en mêlée de presse, le mercredi 15 novembre.


« Créer une université ça semble peut-être simple, on parle d’une simplicité. Je ne veux pas critiquer l’opposition, mais on est le gouvernement, on veut bien faire les choses. Le rapport Adam, nous a donné beaucoup d’outils, on a déposé un projet de loi et j’ai bon espoir qu’il sera adopté avant la fin de cette session » -Marie-France Lalonde


Son entourage explique que le projet de loi est arrivé à maturité au cours des dernières semaines, ce qui explique la chronologie actuelle.