Franco-Ontarien et Québécois, deux identités irréconciliables?

La photo représente les drapeaux du Canada et du Québec.
Les drapeaux du Canada et du Québec. Archives, #ONfr

[TÉMOIGNAGES]

À la veille de l’assemblée générale annuelle du Bloc québécois, rencontres avec différents franco-ontariens qui se revendiquent aussi québécois, voire souverainistes. Un alliage de de deux visions, pas forcément désuet selon eux.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

« Ce n’est pas ce qui est la mode, c’est sûr », lâche Éric Desrochers, étudiant en maitrise de science politique à l’Université d’Ottawa. « Je me considère comme un nationaliste canadien-français. J’ai conscience d’aller à l’encontre des tendances historiques, d’être contradictoire, on pourrait dire. Mais je me vois fondamentalement comme un canadien-français. Je me sens chez moi en Ontario, et aussi au Québec. »

Engagé pour la création d’une université franco-ontarienne, M. Desrochers peut aussi se porter à la défense du drapeau québécois. En 2015, période où il était étudiant au Collège universitaire Glendon, il fonde avec quelques camarades le Bloc Glendonois. Un mouvement de forme « satirique » dixit M. Desrochers, qui exigeait plus de services en français de la fédération étudiante, mais aussi de l’Université York dans son ensemble.

Ne pas oublier, c’est aussi le crédo de Yves Saint-Denis, l’ancien président de l’Association canadienne-française de l’Ontario (ACFO), dans la région de Prescott-Russell. L’homme de 76 ans, toujours disert de ses souvenirs, le dit sans ambages : c’est à la fois un fier franco-ontarien et un souverainiste.

« J’ai travaillé toute ma vie pour l’Ontarie, et en 1981, je me suis donné pour mission de faire connaître l’Ontario français au Québec, et j’ai trouvé bonne oreille au Parti Québécois dont j’étais membre fondateur. »

Et d’ajouter : « Le Bloc québécois est là pour nous défendre. Il faut se méfier du bilinguisme, mais plutôt parler de la dualité linguistique. Le bilinguisme, les anglais parlent anglais, et les français parlent anglais, c’est de l’assimilation. Le beau rêve de Pierre Elliot Trudeau dans les années 60, il faut l’oublier, c’était mauvais. »

Les années 1960 et après

Une référence à la soi-disant cassure dans les années 1960 entre le multiculturalisme prôné par M. Trudeau et la nation canadienne-française. La Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, plus communément appelée Commission Laurendeau-Dunton, avait jeté les bases d’une égalité entre les deux peuples fondateurs. Arrivé au pouvoir en 1968, M. Trudeau préféra modérer quelque peu ce projet par une « politique du multiculturalisme dans le cadre du bilinguisme ».

Un événement considéré par beaucoup comme une cassure. « Ce que je voudrais est impossible. C’est déjà passé », avance M. Desrochers.

Pour l’historien de l’Université d’Ottawa, Michel Bock, cette rupture des années 1960 est tout de même à nuancer : « Disons que les années 1960 représentent la perte d’influence de l’Église qui agissait chez les francophones du Canada comme une structure institutionnelle. De là, les Franco-Ontariens ont dû se réorganiser, en se tournant vers leur province. Mais l’idée du Canada français a subsisté. À partir de là, on a continué à communier le Canada français. »

La distance entre les Franco-Ontariens et les souverainistes connaitrait une autre tendance au début des années 1990. « À ce moment-là, on voit une réconciliation entre les Franco-Ontariens et le bilinguisme. L’idée du Canada français devient très marginalisée. On reconnaît alors le multiculturalisme dans une très large mesure. J’explique cela par la diversification des Franco-Ontariens observée à partir des années 1980, avec plus de ressortissants à la tête des organismes, et aussi, on commence à reconnaître la Charte des droits et libertés comme un outil institutionnel pour les minorités. Enfin, une nouvelle génération politique émerge. »

Engagement politique

De là à dire que l’identité franco-ontarienne et québécoise est inconciliable en politique? Natif d’Hawkesbury, Richard Nadeau a d’abord été député bloquiste (2006-2011) à Gatineau, avant de revenir à l’enseignement à l’école publique Gisèle-Lalonde. Autre exemple : Jean-Paul Marchand, un Franco-Ontarien originaire de Penetanguishene, qui fut député du Bloc québécois de la circonscription de Québec-Est de 1993 à 2000.

L’actuelle directrice générale de l’ACFO-Ottawa est un cas semblable. Isabelle N. Miron quittera prochainement ses fonctions pour briguer le siège de conseillère municipale du discrit de L’Orée-du-Parc du côté de Gatineau.

Une situation qu’elle refuse de voir comme un paradoxe : « Dans la communauté franco-ontarienne, il y a des Québécois partout. Ils sont devenus des Franco-Ontariens de cœur (…) Les Franco-Ontariens et les Québécois font chemin à part. J’aimerais les voir se rapprocher. »

Pour la future candidate, les Franco-Ontariens ont une « crainte de l’abandon » du Québec quelque peu injustifiée. « Ils n’ont pourtant pas besoin du Québec pour survivre. On l’a vu avec la crise de l’Hôpital Montfort en 1997. »

La disparition de l’identité canadienne-française ne serait pas « écrite dans le béton » pour M. Bock. « Tout n’est que tendances, et il y a des critiques sur le multiculturalisme (…) Il est toujours possible pour les francophones de relancer un projet identitaire qui soit représentatif des groupes et identités. »

En vieux sage, Yves Saint-Denis espère un changement. « Comme philosophe, je peux vous dire que l’idéal c’est ce qu’on atteint peut-être jamais, mais ce vers quoi qu’il faut tendre toujours. »