Fortes réserves concernant le circuit touristique francophone

Le tourisme demeure une manne pour l'économie en Ontario. (Photo: Wikimedia commons)
Les chutes du Niagara. Archives ONFR+

[CHRONIQUE]

Il y a quelques semaines, réunis dans capitale terre-neuvienne, la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, et les ministres responsables de la francophonie canadienne dans les provinces et territoires ont réaffirmé leur appui au projet d’un circuit touristique francophone. Permettez-moi quelques réserves concernant ce projet et son incidence possible sur la francophonie canadienne.

REMI LÉGER
Chroniqueur invité
@ReLeger

Depuis plus de deux décennies, les ministres canadiens responsables de la francophonie se rencontrent sous l’égide de la Conférence ministérielle sur la francophonie canadienne. Qu’est-ce que cette Conférence ministérielle qui s’est tenue à Saint John’s le mois dernier?

Au premier regard, c’est une plateforme d’échanges et de concertation. Les ministres et fonctionnaires se réunissent annuellement pour discuter des enjeux touchant à la francophonie canadienne. Bref, c’est l’occasion de se retrouver et d’envisager des initiatives communes.

Mais en réalité, son mandat va beaucoup plus loin que cela. La Conférence ministérielle adhère à la dualité linguistique et accepte d’en faire la promotion, souhaite favoriser l’offre active de services publics en français et s’engage à contribuer à l’épanouissement des minorités francophones. Plus globalement, elle affirme que les francophones « doivent pouvoir vivre et s’épanouir individuellement et collectivement en français partout au Canada ».

C’est à la lumière de ce mandat qu’il faut évaluer le projet d’un circuit touristique francophone. Et vu sous cet angle, le projet déçoit énormément.

Pourquoi? Il faut dire d’abord que le projet n’est pas sans valeur. Si le pari est réussi, le projet devrait créer des emplois et stimuler l’économie des communautés et des régions francophones au pays. Par exemple, l’achalandage touristique dans le French Quarter à Edmonton bénéficierait aux petits commerçants et contribuerait à dynamiser l’espace urbain pour les résidents du quartier.

Cependant, le projet n’est pas à la hauteur parce qu’il manque d’ambition par rapport au mandat que s’est donné la Conférence ministérielle. Pour le dire simplement, je vois mal comment le tourisme peut faire la promotion de la dualité linguistique ou encore permettre aux francophones de « vivre et s’épanouir » dans leur langue. Bref, la Conférence ministérielle doit viser mieux et plus haut.

L’exemple européen

Pour comparaison, passons voir rapidement du côté européen. Si la France est à la traîne en matière de promotion et de protection des minorités nationales et linguistiques, d’autres pays innovent et peuvent servir de modèles. Par exemple, la petite communauté germanophone de Belgique (environ 80000 résidents) est dotée d’un parlement de 25 députés et dispose de plusieurs compétences en matière de culture et de langue. Son budget s’élève à plus de 150 millions d’euros. En Allemagne, la minorité historique sorabe (entre 40 000 à 50 000 locuteurs) administre un financement d’un peu moins de 20 millions d’euros grâce à une entente d’appui signé entre les gouvernements fédéral, de Saxe et de Brandebourg.

La reconnaissance de la communauté germanophone de Belgique et de la minorité sorabe n’est certes pas parfaite, mais il reste que nous sommes à milles lieues d’un circuit touristique francophone.

En somme, la Conférence ministérielle sur la francophonie canadienne est un levier trop important pour les minorités francophones pour se limiter à un projet de circuit touristique. Il est grand temps que les provinces et les territoires entreprennent, individuellement et collectivement, des projets d’envergure pouvant contribuer à l’épanouissement des minorités francophones et de la langue française. Les minorités francophones sont en droit d’exiger plus, beaucoup plus de la part des provinces et des territoires.

Rémi Léger est professeur en sciences politiques à l’Université Simon Fraser, à Vancouver.

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