Faut-il une politique du livre francophone en Ontario?

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TORONTO – L’idée de mettre en place une politique du livre franco-ontarien n’est pas morte, loin de là. Des acteurs de l’industrie travaillent dans l’ombre pour tenter de lui donner vie. Une proposition faite alors que les livres en français sont de moins en moins visibles dans certaines régions, affirment plusieurs intervenants.

ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER
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SÉBASTIEN PIERROZ
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« On est en train de rédiger une première esquisse de cette politique du livre franco-ontarien. On ne peut pas arriver devant les ministres responsables de ces dossiers sans avoir une proposition à leur faire. Il est grand temps d’agir pour protéger notre industrie », révèle Yves Turbide, directeur général de l’Association des auteures et auteurs de l’Ontario français (AAOF). Il espère qu’une première ébauche de la politique pourra être présentée à certains élus avant la fin de l’année.

L’un des éléments central de cette proposition concernera les achats de livres par le milieu scolaire. Bon nombre d’auteurs, d’éditeurs et de libraires franco-ontariens sont en colère de constater que des conseils scolaires et des écoles francophones de l’Ontario se procurent leurs livres sur Internet ou… au Québec.

« Certains vont acheter leurs dictionnaires chez Costco, sur Amazon ou à l’extérieur de l’Ontario. Des francophones d’ici contournent les librairies francophones de la province pour aller acheter ailleurs, on peut facilement s’imaginer les conséquences », souligne M. Turbide.

Omer Cantin, propriétaire de la Librairie le Nord, à Hearst, est victime de ce phénomène. « La première difficulté est la compétition des grosses chaînes sur Internet. C’est comme s’ils étaient en face de mon magasin de l’autre bord de la rue », dit-il pour illustrer le problème.

Le Québec force dorénavant les bibliothèques publiques et les écoles à acheter leurs ouvrages dans les librairies québécoises, souligne-t-il. C’est la voie qui devrait aussi être suivie en Ontario, à son avis.

L’Ontario devrait aussi encadrer le prix auquel un livre est vendu, selon M. Cantin. « Les grandes surfaces vendent au prix coûtant. Avoir une politique de prix unique où tout le monde vendrait plutôt au prix de l’éditeur, ça nous aiderait beaucoup », affirme-t-il.

Yves Turbide affirme qu’une politique du livre franco-ontarien viserait la protection des libraires, mais pas seulement. « Si toutes les librairies francophones que nous avons en Ontario disparaissaient, on aurait un sacré problème. Mais nous souhaitons aussi intégrer un volet sur la lecture en français dans la politique. Il faut mettre l’accent sur le plaisir de lire », souligne-t-il. Il évoque la possibilité de lancer des campagnes de promotion de la littérature en français ou la possibilité de mettre en place un festival provincial de littérature.

Il est cependant trop tôt pour dire comment une politique du livre francophone s’appliquerait dans une province anglophone comme l’Ontario. « Est-il possible d’avoir une loi qui touche juste les francophones? Va-t-on se cogner le nez au mur anglophone? », se questionne Yves Turbide.

 

Augmenter l’accès aux livres en français

Denise Truax, codirectrice de la maison d’édition franco-ontarienne Prise de parole, estime qu’il est urgent d’augmenter l’accès aux livres de langue française dans la province.

« La question fondamentale est la suivante : est-ce qu’il y a des livres en français disponibles. Dans le nord, il n’y en a à peu près pas. Je trouve triste que les épiceries et les grands magasins ne se donnent jamais la peine d’en avoir. Il y a une plus grande pauvreté de la langue », dit-elle.

Elle est en accord avec le développement d’une politique du livre, tout en apportant quelques nuances. « La réflexion autour de la politique est intelligente. Mais il faut arrêter de voir les choses dans l’entonnoir du livre franco-ontarien. C’est tout le livre francophone qui doit faire partie d’une politique. Le livre franco-ontarien est une toute petite goutte dans la grande mer des livres de langue française », affirme-t-elle.

Mme Truax affirme qu’il faut donner le goût de la lecture aux jeunes à l’école, mais aussi après la fin des classes. Les enseignants doivent aussi être sensibilisés à acheter des livres en français et à s’informer sur la littérature d’ici.« Parfois on se demande s’ils ont ce réflexe-là. Je ne suis pas sûr qu’ils le font », s’attriste-t-elle.

Une recommandation en ce sens avait d’ailleurs été faite en 2011 par la Table de concertation du livre franco-ontarien. On y suggérait que « que les Facultés d’éducation de la province exigent que les futurs enseignants suivent un cours en littérature franco-ontarienne durant leur formation universitaire ». La Table de concertation faisait une proposition similaire à l’endroit des bibliothécaires qui font sur une base régulière des suggestions de livres au public.

 

Visées américaines

Alors que des efforts sont faits pour promouvoir les livres franco-ontariens dans les écoles et dans le reste de la province, d’autres acteurs de l’industrie tentent de les faire connaître en dehors de notre territoire.

Le directeur du Regroupement des éditeurs canadiens-français (RECF) a effectué un séjour à Chicago au cours des derniers jours pour participer au BookExpo, une immense foire pour les professionnels du livre. Frédéric Brisson révèle qu’il étudie différents moyens pour faire connaître davantage les auteurs francophones d’ici au sud de la frontière. « On peut y exporter nos ouvrages. Aux États-Unis, il y a plusieurs écoles d’immersion et un certain milieu francophile, en plus des bibliothèques. Il faut y aller! », lance-t-il.

Il existe en effet une quarantaine d’écoles d’immersion française aux États-Unis, en plus de nombreux collèges et programmes dans des établissements postsecondaires.