Élections à TNL : les francophones face au changement

La situation économique difficile de Terre-Neuve-et-Labrador pousse la communauté francophone à revoir ses priorités. Archives, #ONfr

SAINT-JEAN (TNL) – Les élections provinciales à Terre-Neuve-et-Labrador (TNL), lundi 30 novembre, annoncent une nouvelle vague libérale sur l’Est du Canada. Selon les plus récents sondages, le premier ministre sortant, le progressiste-conservateur, Paul Davis, devrait faire les frais de l’usure du pouvoir, alors que son parti gouverne la province depuis 2003.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

Pour les Franco-Terre-Neuviens, le changement de garde annoncé n’est pas forcément une bonne nouvelle. Même si elle se dit prête à travailler avec tous les partis au pouvoir, la présidente de la Fédération des francophones de Terre-Neuve et du Labrador (FFTNL), Cyrilda Poirier, mesure l’impact d’un nouveau gouvernement à Saint-Jean de Terre-Neuve.

« Un changement de gouvernement n’est pas forcément favorable pour nous car nous avions l’habitude de travailler avec les ministres en place et les connaissions bien. Avec un nouveau gouvernement, tout ce travail de sensibilisation sera à refaire. »

Pourtant, la FFTNL devra bel et bien s’y résoudre, si l’on en croit Robert Sweeny, professeur au département d’histoire de l’Université Mémorial de Terre-Neuve.

« Le Parti progressiste-conservateur est au pouvoir depuis 12 ans, quatre premiers ministres se sont succédés à la tête de la province et Paul Davis n’est pas un leader comme pouvait l’être Danny Williams… Il y a un sentiment généralisé que le parti a fait son temps. Du côté du Nouveau parti démocratique, la défaite de Jack Harris au fédéral a fait très mal et le NPD provincial peine à incarner le changement. On risque d’assister à un raz-de-marée rouge. »

La proximité entre les élections provinciales et la récente campagne fédérale devrait également favoriser les libéraux, selon M. Sweeny.

« Les trois partis provinciaux se sont beaucoup investis dans la campagne fédérale si bien que leurs bénévoles sont maintenant fatigués. Cela devrait renforcer la tendance actuelle des sondages. »

Cette réalité a également eu une influence sur la stratégie de la FFTNL qui préfère préparer une approche post-électorale.

« Nous allons plutôt essayer de rencontrer dès que possible les ministères clés, tels que le ministère de l’Éducation et du Développement de la petite enfance, celui de la Santé et des services communautaires et le ou la ministre responsable des Affaires francophones. »

Mme Poirier reconnaît que le travail de sensibilisation n’est pas toujours facile à effectuer car la petite communauté de 3020 francophones à Terre-Neuve-et-Labrador est souvent oubliée, hors des frontières de la Péninsule de Port-au-Port.

Deux priorités : la santé et l’éducation

Les francophones tâcheront de faire avancer plusieurs dossiers avec le nouveau gouvernement. Mais si le Parti libéral de Dwight Ball devrait sans surprise l’emporter, il n’est pas dit qu’il sera plus favorable à leurs demandes.

« Le Parti libéral de Terre-Neuve-et-Labrador n’a pas la dimension sociale que peut avoir le Parti libéral du Canada. C’est un parti de centre-droit qui concentre son discours sur un plus petit gouvernement, des coupures de taxes pour les entreprises, des privatisations et la promotion de l’entreprenariat », explique M. Sweeny.

En éducation, la FFTNL veut apporter son soutien au conseil scolaire francophone provincial de Terre-Neuve-et-Labrador (CSFP) pour la construction d’une nouvelle école à l’ouest de Saint-Jean. Mme Poirier indique également que l’organisme porte-parole des Franco-Terre-Neuviens est favorable à la révision du mode d’élection des conseillers scolaires et de la nomination du directeur général du CSFP.

« Actuellement, c’est le ou la ministre de l’Éducation qui signe le contrat de la personne nommée à la direction générale. Cela pose un problème quand vient le temps de réclamer une nouvelle école ou de meilleures infrastructures », plaide Mme Poirier.

En matière de santé, la FFTNL ne s’attend pas à des miracles mais aimerait tirer profit du personnel bilingue existant.

« Nous savons qu’il y a des spécialistes bilingues dans les hôpitaux et ce serait bien que cela permette d’avoir davantage de services en français, notamment pour les services de première ligne. Développer des services de santé en français nous permettrait également de retenir les francophones qui viennent s’installer ici. »

Valoriser le français

Selon Mme Poirier, la petite communauté franco-terre-neuvienne grandit rapidement, appâtée par la croissance qu’a connue la province grâce à ses ressources naturelles. Un constat que fait également Christophe Caron, directeur général du Réseau de développement économique et d’employabilité de Terre-Neuve-et-Labrador (RDÉE TNL).

« Terre-Neuve-et-Labrador a longtemps souffert de sa réputation de province pauvre du Canada. Aujourd’hui, ce n’est plus vrai du tout et nous voulons collaborer avec le gouvernement pour changer cette image. C’est une destination d’opportunités, notamment pour les francophones. De nombreux employeurs cherchent une main d’œuvre qualifiée bilingue. »

La croissance économique de la province montre toutefois quelques signes de fléchissement ces dernières années, nuance M. Sweeny.

« La baisse du prix du pétrole a pénalisé l’économie provinciale et aujourd’hui, la situation est moins favorable. »

Cette conjoncture économique pourrait toutefois profiter à ceux qui veulent encourager de nouvelles sources de croissance économique, via la création d’entreprises ou le développement du secteur touristique. Pour M. Caron, la province aurait tout intérêt à valoriser le français.

« Nous voulons nous assurer que le français soit vu comme une valeur ajoutée par le prochain gouvernement car il y a des occasions d’affaires, notamment grâce au tourisme. Nous avons beaucoup de francophones qui viennent visiter la province. »

Pour les inciter à y demeurer, la mise en place d’une loi sur les services en français pourrait y contribuer. Alors que le gouvernement de Paul Davis avait annoncé, juste avant les élections, la mise en place d’une Politique sur les services en français, la perspective d’avoir une loi reste un objectif majeur pour la FFTNL.

« J’ai parlé avec mes collègues des autres organismes francophones à travers le Canada et ils m’ont dit que ça prenait entre 7 et 10 ans pour passer d’une politique à une loi. Nous allons donc devoir commencer le travail au plus vite, notamment pour savoir ce que nous voulons concrètement. »