Des immigrants francophones s’étonnent du test de français

OTTAWA – Candidats à l’immigration en Ontario et à l’extérieur du Québec, plusieurs nouveaux arrivants francophones ou diplômés d’universités de langue française s’étonnent de devoir passer un test pour déterminer leur niveau de français.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

« J’avoue que cela m’a surpris. Je viens de France, j’y ai fait mes études postsecondaires en audiovisuel en français, j’y ai travaillé plusieurs années… Ça m’a un peu choqué au départ, mais comme il fallait le faire, je me suis dit que c’était un investissement », explique Dominique Le Beau, 36 ans, originaire de Paris.

Après avoir traversé l’Atlantique grâce à un permis temporaire réservé aux candidats de 18 à 35 ans en 2015, M. Le Beau a entrepris ses démarches d’immigration en 2017. Pour y parvenir, il a passé son Test d’évaluation de français (TEF) pour le Canada avec l’Alliance française à Toronto.

« C’est un test très facile pour qui parle et comprend le français », juge celui qui vit aujourd’hui dans la région rurale de Reaboro, non loin de Peterborough.

Ruby Irene Pratka, 28 ans, a fait face à la même exigence pour venir s’établir au Canada. De prime abord, tester son français pouvait sembler évident. Originaire des États-Unis, non loin de Washington, sa langue maternelle est l’anglais. Mais son parcours universitaire et personnel lui a permis de parfaire son français, explique-t-elle.

« Je suis venue au Canada dans la région d’Ottawa pour étudier à l’Université de Carleton, entre 2006 et 2010. Vivre à Ottawa m’a permis d’apprendre le français, puis je suis allée travailler en France pour poursuivre mon apprentissage et au Burundi [où l’une des deux langues officielles est le français]. Je suis ensuite revenue au Canada pour faire une Maîtrise en communication publique à l’Université Laval, à Québec. »

Diplôme en main, Mme Pratka a travaillé en milieu francophone au Manitoba. Décidée à rester au Canada, elle a suivi les étapes du processus d’immigration.

« J’ai trouvé ça surprenant de passer un test de français alors que je suis diplômée, en français, d’une université canadienne. Mais ça m’a encore plus surpris de devoir passer aussi le test d’anglais! C’est pourtant ma langue maternelle, celle dans laquelle je suis allée à l’école… Et dans laquelle, là aussi, j’ai obtenu un diplôme universitaire canadien délivré par une université anglophone! »

Le gouvernement défend le test

Dans un échange de courriels avec #ONfr, le ministère de l’Immigration Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté (IRCC) explique les raisons de cette exigence.

« Les demandeurs qui sont citoyens de pays considérés comme francophones ne sont parfois pas en mesure de démontrer qu’ils possèdent les compétences linguistiques nécessaires pour présenter une demande au titre d’un programme d’immigration économique d’IRCC ou pour obtenir le nombre de points maximal. Aux fins de transparence et d’uniformité, IRCC exige que tous les demandeurs au titre de ces programmes fournissent une preuve de compétences linguistiques par l’intermédiaire d’un examen objectif. »

Le secrétaire parlementaire du ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Serge Cormier, au centre. (Crédit photo : Benjamin Vachet)

Le secrétaire parlementaire du ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Serge Cormier, défend le processus.

« C’est un moyen fiable, objectif, uniforme et précis d’évaluer toutes les compétences linguistiques, aussi bien écrites, orales que de compréhension. Il y a pu y avoir de la fraude par le passé sur le niveau linguistique supposé d’un candidat. Et puis, même si vous avez un diplôme universitaire, le niveau de français n’est pas le même partout. »

Le député libéral ajoute que cela vaut aussi bien pour les francophones que pour les anglophones.


« Je comprends que cela puisse être frustrant pour des personnes qui ont fait plusieurs années d’études universitaires en français, mais c’est la même chose pour les candidats anglophones, y compris pour des Anglais qui seraient diplômés d’Oxford. » – Serge Cormier, secrétaire parlementaire IRCC


En tournée pour parler d’immigration à travers le Canada, le secrétaire parlementaire indique que cet enjeu lui a été signalé et assure que son gouvernement est quand même prêt à étudier la question.

Baisser les coûts

Sur internet, les critiques peuvent être parfois acerbes à travers les forums. Plusieurs candidats à l’immigration, venus de pays francophones d’où ils sont diplômés, dénoncent des tests inutiles, surtout bons à les faire payer.

Le test d’évaluation du français coûte entre 330 $ à 485 $. Sur son site internet, l’Alliance française Ottawa facture 460 $ pour les quatre épreuves du TEF pour le Canada. Le test d’évaluation de l’anglais coûte, quant à lui, entre 265 $ et 365 $. La différence de prix entre les tests d’évaluation du français et de l’anglais a été dénoncée par plusieurs députés du comité permanent des langues officielles.

La Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada fustige ces obstacles additionnels, au moment où les communautés francophones de l’extérieur du Québec tentent d’attirer plus de nouveaux arrivants.

« Ça me perturbe, car entre le coût du test, son manque de disponibilité et la pertinence elle-même du test de français, on ralentit encore le processus. Je pourrais comprendre pour une personne dont le niveau scolaire est peu élevé, mais j’ai du mal à m’expliquer un tel test pour quelqu’un qui a un niveau universitaire », déplore le président de l’organisme, Jean Johnson.

Dans un rapport publié en mars dernier, le Commissariat aux langues officielles (CLO) du Canada avait blâmé le gouvernement pour ne pas avoir pris les mesures nécessaires afin de réduire le coût et de rendre plus accessible le test d’évaluation de français.

M. Cormier assure que le gouvernement est conscient du problème et travaille pour trouver des solutions.

« Comme francophone, je trouve ça triste. Il faut que le prix et la disponibilité des tests soient les mêmes pour tout le monde. Nous regardons des options et aurons des nouvelles bientôt », lance-t-il, sans préciser d’échéancier.