Défense des droits linguistiques : la FCFA veut aller plus loin

Sylviane Lanthier a été réélue à la tête de la FCFA, le samedi 10 juin. Archives #ONfr

OTTAWA – Comme promis pendant la campagne électorale, le gouvernement de Justin Trudeau va rétablir le Programme de contestation judiciaire (PCJ). Mais alors que les ministères de la Justice et du Patrimoine canadien ont le mandat de réfléchir à une façon de moderniser celui-ci, la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada propose au gouvernement une troisième voie.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

Le retour du PCJ a été confirmé par le gouvernement de Justin Trudeau lors de la présentation de son budget, le 22 mars dernier. Le programme bénéficiera de fonds supplémentaires de 12 millions$ sur cinq ans, ce qui portera son budget à 5 millions$ par année. Le PCJ vise à aider financièrement les personnes et les groupes qui souhaitent défendre des causes relatives aux droits en matière de langue et d’égalité devant les tribunaux canadiens.

De passage devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne, mardi 12 avril, la FCFA pense toutefois qu’il faut revoir ce modèle.

« Nous reconnaissons l’importance des droits à l’égalité et d’un programme qui soutiendrait ce principe, mais nous pensons que la défense des droits linguistiques est quelque chose de très différent et qu’il convient donc de créer deux programmes distincts », a expliqué la présidente Sylviane Lanthier.

La FCFA a mis sur pied un comité externe, auquel ont participé des représentants du Quebec Community Group Networks (QCGN) et l’ancien juge à la Cour suprême du Canada, Michel Bastarache, afin d’étudier la question de la défense des droits linguistiques. Plusieurs recommandations ont été formulées, présentées devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne.

« Nous demandons quelque chose de complètement différent de ce qui existe aujourd’hui », résume Mme Lanthier à #ONfr. « Ce que nous voulons, c’est un organisme de défense des droits linguistiques créé par une loi fédérale. Il serait géré par une fondation redevable devant le parlement et dont le conseil d’administration serait nommé par le gouvernement. Son financement serait basé sur un fonds de dotation, ce qui permettrait d’éviter qu’il ne dépende des fluctuations du budget fédéral. Cela permettrait d’assurer la pérennité d’un outil pour aider les minorités à faire valoir leurs droits linguistiques devant les tribunaux quand c’est nécessaire, au lieu d’avoir à défendre un programme remis en cause tous les trois, quatre ou cinq ans. »

La présidente de la FCFA rappelle ainsi le parcours mouvementé du PCJ depuis sa création à la fin des années 70. Son financement a été éliminé en 1992, puis rétabli en 1993, puis de nouveau supprimé en 2006 par le gouvernement minoritaire de Stephen Harper.

À l’époque, l’organisme porte-parole des francophones en contexte minoritaire avait initié un recours judiciaire devant la Cour fédérale et hors cour, une entente avec le gouvernement fédéral avait permis la création du Programme d’appui aux droits linguistiques (PADL).

Manque de financement

Ce programme doté d’un budget annuel de 1,5 millions$ vise à aider les personnes et les groupes dans leurs poursuites judiciaires, à condition que leurs causes permettent de clarifier et de faire avancer les droits linguistiques constitutionnels.

Le PADL a notamment financé une partie de la cause de l’école Rose-des-Vents, en Colombie-Britannique, portée par la Fédération nationale des conseils scolaires francophones (FNCSF). Géré par l’Université d’Ottawa, son avenir demeure aujourd’hui incertain puisque l’entente signée avec le gouvernement fédéral se termine le 31 mars 2017.

« Nous savons que le programme est apprécié et qu’il commence à être connu », explique la directrice générale, Geneviève Boudreau. « Je pense que la meilleure solution serait d’en améliorer le financement et d’en élargir le mandat pour que les causes financées puissent aussi porter sur la Loi sur les langues officielles (LLO) et toutes autres lois fédérales qui touchent aux droits linguistiques au Canada. »

Un avis que partage la FCFA qui souhaite que sa nouvelle structure puisse elle aussi s’attaquer à ces causes-là.

« Il y a souvent des demandes qui parviennent au PADL qui portent sur la LLO. En élargissant le mandat du programme, cela permettrait une compréhension plus globale des droits linguistiques et aux gens de mettre leurs gouvernements devant leurs responsabilités. Certaines décisions des gouvernements, notamment de couper des programmes et des services ou d’abolir des institutions, pourraient ainsi être remises en cause », précise le professeur de droit à l’Université d’Ottawa, Pierre Foucher.

Alors que le PADL a dû refuser d’aider financièrement 14 causes depuis sa création faute de financement suffisant, M. Foucher reconnaît qu’il y aurait toutefois un risque à élargir le mandat.

« C’est sûr qu’il faudrait mettre plus d’argent car le PADL recevrait sans doute encore plus de plaintes! »

Vision à long terme

Interrogé sur les recommandations de la FCFA et de QCGN de créer un nouvel organisme pour remplir la mission de soutenir la défense des droits linguistiques, M. Foucher se montre intéressé, mais dubitatif.

« L’idée d’avoir deux programmes distincts est une bonne idée et en règle générale, les recommandations proposées par la FCFA et QCGN sont intéressantes. Mais créer une fondation avec un fonds de dotation suffisant pour générer les revenus nécessaires, cela représente un gros investissement de départ et je ne suis pas certain que le gouvernement veuille mettre autant d’argent là-dedans. »

Sans remettre en cause l’importance jouée par le PADL ces dernières années et par le PCJ auparavant, la FCFA pense que ces programmes ne répondent plus aux besoins de la communauté.

« Pour nous, il ne s’agit pas de choisir entre le PCJ et le PADL qui est en place depuis 2009. Ce que nous proposons, c’est une troisième voie qui répondrait davantage aux besoins de nos communautés et qui resterait en place pour de bon. Ça ne va pas se réaliser à court terme, mais nous pensons qu’il est temps d’entamer la réflexion et de se doter d’un échéancier pour y parvenir. »