Découpage électoral : une menace pour les Franco-Ontariens

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[ANALYSE]

TORONTO – Les bancs de Queen’s Park seront bientôt plus occupés. Actuellement au nombre de 107, les députés ontariens seront 123 ou 124 après les élections provinciales de juin 2018. La conséquence de la Loi de 2015 sur la représentation électorale.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

Pour le chiffre exact, il faudra attendre l’automne et voir si le gouvernement va de l’avant avec les recommandations de la Commission de délimitation des circonscriptions électorales du Grand Nord (CDCEGN), rendues publiques, mardi dernier.

En gros, cette commission propose de partager Kenora-Rainer River et surtout la très francophone Timmins-Baie James (environ 25 000 Franco-Ontariens) en deux comtés chacune.

Une bonne nouvelle pour les francophones qui pourraient dès lors bénéficier d’un député supplémentaire dans le Nord, où figurent déjà Gilles Bisson (Timmins-Baie James), France Gélinas (Nickel Belt) ou encore Michael Mantha (Algoma-Manitoulin). L’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) n’a d’ailleurs pas manqué de saluer le travail de la commission.

Les propositions relèvent du bon sens. Timmins-Baie James représente 248 000 km2 où se situent Timmins et Hearst… séparés de trois heures de route. Un territoire même plus grand que le Royaume-Uni.

Des nouvelles circonscriptions au fait francophone faible

Tout indique que le gouvernement ira de l’avant avec ces propositions. Un projet nécessaire pour rééquilibrer un peu la probable arrivée de députés non-francophones à Queen’s Park en juin 2018.

Car des 15 nouvelles circonscriptions annoncées en 2015, celles-ci se situeront à Barrie, Belleville, Brampton, Durham, Halton, Hamilton, Mississauga, Ottawa, Simcoe, Toronto et York.

Dans le cas d’Ottawa, le comté de Nepean-Carleton (actuellement occupé par l’unilingue Lisa MacLeod) sera scindé en deux. Peu de chance qu’un député francophone ravisse l’un des deux endroits.

C’est bien là où le bât blesse. Les motifs démographiques d’un nouveau découpage, aussi louables soient-ils, ne vont pas dans le sens d’une meilleure représentation des Franco-Ontariens à Queen’s Park.

Certes, on pourra toujours dire qu’il y a des députés bilingues dans certaines circonscriptions « moins francophones ». Il ne faudrait tout de même pas oublier que dans une assemblée législative, les convictions passent avant tout. Et les députés issus de comtés où figurent au moins 20 % de francophones n’ont pas d’autres choix que de rendre des comptes à leurs électeurs.

C’est le cas de l’anglophone Glenn Thibeault dans Sudbury qui a poussé considérablement pour le dossier de la Place des arts. Entre sincérité et obligation.

Loin du Nord ou des régions d’Ottawa, là où les circonscriptions comptent parfois moins de 5 % de francophones, cette pression, et même cette curiosité à l’endroit des Franco-Ontariens, existent beaucoup moins. La députée bilingue Gila Martow (Thornhill, dans la région de Toronto), porte-parole pour le Parti progressiste-conservateur en matière d’Affaires francophones, n’avait-elle pas avoué candidement en 2015 méconnaître l’existence de l’Hôpital Montfort?

L’idée de « circonscriptions protégées »

Un plus grand nombre de députés à Queen’s Park érodera donc sensiblement l’influence du « caucus francophone », et la capacité de ces mêmes députés « sensibilisés » à être entendus pour des dossiers provinciaux (université franco-ontarienne, services de santé).

Dans ces conditions, la solution pourrait passer à long terme par l’exigence de sièges pour les Franco-Ontariens à Queen’s Park. Reste que l’expérience de la Nouvelle-Écosse avec les « circonscriptions protégées » pour les Acadiens (abolies par le gouvernement provincial en 2012) montrent les obstacles politiques d’une telle formule.

Si aujourd’hui, il faut se réjouir de l’apport du probable partage de Timmins-Baie James, il faudra peut-être dans quelques années observer l’exemple acadien avec un intérêt redoublé.

Cette analyse est aussi publiée dans le quotidien Le Droit du 17 juillet.