Contraventions à Toronto : terminé les juges bilingues

TORONTO – Contester en français une contravention pour stationnement à Toronto? C’était possible jusqu’à tout récemment, alors que la Cour provinciale était chargée de trancher. Mais c’est dorénavant la Ville qui s’en occupe et elle échappe du même coup aux obligations de la Loi sur les services en français (LSF).

ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER
efgauthier@tfo.org | @etiennefg

C’est l’hebdomadaire franco-torontois L’Express qui a constaté les conséquences pour les francophones des changements apportés le 28 août. « Si on pouvait demander une audience en français en Cour provinciale, le nouveau système municipal ne fonctionne qu’en anglais », révèle le journaliste François Bergeron.

Alors que la Ville de Toronto vante depuis plusieurs semaines le nouveau système en place, affirmant qu’il est plus simple et plus rapide, il a été passé sous silence que cette transformation aurait des contrecoups au niveau linguistique. Si auparavant, le citoyen se présentait devant un juge de paix dans un tribunal provincial, dorénavant il porte plainte en ligne et se présente devant un premier agent municipal. S’il est insatisfait de la décision rendue, il est envoyé devant l’officier d’un tribunal administratif. Quelque 25 de ces officiers ont récemment été désignés par la Ville de Toronto.

La Cour provinciale étant assujettie à la Loi sur les services en français, elle devait fournir des services bilingues, notamment par l’entremise de juges capables de s’exprimer dans les deux langues officielles. La Ville de Toronto n’a aucune obligation face à cette loi.

Le commissaire aux services en français ouvre une enquête

Le commissaire aux services en français,  François Boileau, a confirmé à #ONfr qu’une enquête avait été ouverte dans ce dossier, suite à une plainte citoyenne. « Nous avons reçu une plainte à ce sujet et c’est sous enquête. Je veux attendre que l’enquête soit plus avancée avant de sortir publiquement avec les bonnes informations », a-t-il d’abord indiqué.

Me Boileau a néanmoins accepté d’aborder de front la question du transfert des responsabilités provinciales vers les municipalités, comme ça semble être le cas dans le dossier des contestations relatives aux contraventions à Toronto.

« Il y a toujours eu une crainte de déresponsabilisation. Il y a toujours un danger, car ça ne veut pas dire que les services seront réellement offerts. Je comprends la volonté d’être plus efficients, mais pas au point où les francophones vont devoir en payer les frais », explique-t-il.

Le commissaire aux services en français de l’Ontario, François Boileau. Archives #ONfr

À ce sujet, il cite une victoire linguistique de l’Association des juristes d’expression française de l’Ontario (AJEFO). En 2001, le juge Pierre Blais a tranché : le gouvernement fédéral a la responsabilité de s’assurer du respect de la Loi sur les langues officielles, même s’il déléguait certains pouvoirs aux provinces.

Dans le cas de Toronto, il devra déterminer dans son enquête si de telles dispositions existent pour encadrer la Ville et s’il y a eu une infraction à la Loi sur les services en français.

Et il compte bien aller plus loin que l’argument économique, tel qu’avancé par la porte-parole de la Ville. « Ça ne m’émeut pas. Juridiquement parlant, ce n’est pas ça qui détermine la source du droit », lance-t-il.

La Ville confirme que tout se fera en anglais

La Ville de Toronto a fourni une réponse qui ne laisse aucun doute sur la suite des choses. « En vertu du nouveau processus municipal, la contestation des contraventions pour stationnement, l’examen préalable et l’audience se dérouleront en anglais », a répondu Susan Pape, une porte-parole de la Ville, suite aux questions posées par #ONfr concernant les services bilingues offerts.

Dans l’éventualité où un plaignant devait venir à la rencontre de représentants de la Ville pendant le processus, Toronto invite les citoyens à se dénicher eux-mêmes un traducteur. « Si un individu a besoin d’un interprète, il peut amener une personne pour l’assister », affirme d’abord Mme Pape. Elle poursuit en affirmant qu’un service de traduction téléphonique pourrait aussi être disponible, tout comme il est offert aux citoyens qui parlent une langue officielle ou non.

Contrairement à d’autres services de la Ville financés par la province, le processus judiciaire entourant la contestation des contraventions dépend du budget de Toronto. « La Ville de Toronto est responsable des coûts pour la contestation des contravention. La Loi sur les services en français ne s’applique pas », soutient donc la Ville concernant ses obligations linguistiques.

Un recul inacceptable, selon le NPD

La critique néo-démocrate en matière de francophonie, France Gélinas, affirme qu’il s’agit d’un recul important pour les Franco-Ontariens. « C’est assez ironique, car la contestation des contraventions, c’est un des services en français énormément utilisé! De façon historique, les Franco-Ontariens utilisent ce droit », tranche-t-elle.

La responsabilité de trouver un traducteur capable de les aider à manœuvrer le système de contestation municipal devrait revenir à la Ville, dit-elle. « Devoir amener son propre traducteur! On a vécu ça dans le temps, on ne veut plus ça. C’est au tribunal de nous garantir nos droits de recevoir des services en français. On ne peut pas donner cette responsabilité aux citoyens qui sont déjà stressés de devoir contester leur contravention », dit-elle

Peu de réponses du gouvernement

Il a été impossible d’obtenir des réponses du ministère du Procureur général de l’Ontario sur les obligations de Toronto face à la Loi sur les services en français concernant les contestations de contraventions. Des obligations pourraient avoir été imposées à la Ville de Toronto dans tout ce dossier, selon des informations obtenues par #ONfr, mais le Procureur général a refusé de commenter.

Questionnée au sujet des changements à Toronto, la ministre des Affaires francophones, Marie-France Lalonde, a vanté les efforts de son gouvernement à Ottawa. « L’accès à la justice en français est très important pour notre gouvernement. C’est pourquoi, en collaboration avec les juges en chef de l’Ontario, l’Ontario a lancé un projet pilote au Palais de justice d’Ottawa, dont nous connaîtrons bientôt les résultats. »