Un système brisé

Les assistants de cours, les enseignants contractuels et les assistants de recherche à l’Université de Toronto et à l’Université York ont rejoint les lignes de piquetage, début mars.

[CHRONIQUE]
Ça fait trois semaines que les assistants à la recherche et les assistants de cours sont en grève à l’Université York et l’allure des lignes de piquetage a gravement changé. La sécurité des grévistes est quotidiennement remise en question, avec des incidents chaque jour en raison d’automobilistes grincheux – et même violents – qui jettent des menaces de mort aussi aisément qu’on se salue dans la rue. Mais où en sommes-nous rendus?

SERGE MIVILLE
Chroniqueur invité
@Miville

Il est difficile pour des grévistes qui vivent sous le seuil de la pauvreté de mener un combat juste et équitable contre une institution milliardaire avec son équipe de négociation qui est bien ancrée dans le club sélect des 1%.

Les détails nouvellement déterrés sur le salaire du recteur de l’Université, Mamdouh Shoukri ne font rien pour calmer les esprits. Prêt hypothécaire à 0% d’intérêt, 50 000 $ de cette dette pardonnée annuellement, un chauffeur et véhicule fourni, en plus du salaire astronomique, il est facile de comprendre la grogne des grévistes.

Le recteur a d’ailleurs tenu une ligne paternaliste selon laquelle les membres de la communauté universitaire font partie de la même famille et que la figure du père, Shoukri lui-même, a à cœur leur bien-être. On a plutôt l’impression que c’est Darth Vader qui cherche à tenter Luke Skywalker vers le côté obscur de la force. Visiblement, le père n’aime pas tous ses enfants de la même manière…

L’administration universitaire a multiplié les efforts pour miner la crédibilité du syndicat. Elle refuse de rencontrer l’équipe de négociation, elle a décrété la reprise des cours – ce qui a multiplié les événements violents sur les piquets de grève – et elle a même mis en ligne un site Internet pour encourager les membres de l’unité syndicale à briser la grève en leur demandant de retourner au travail. Le manque d’éthique est à son comble, et on se pose toujours la question simple : pourquoi papa ne m’aime plus?

Pourquoi toujours la grève?

La grève s’explique en grande partie par des problèmes systémiques dans l’enseignement postsecondaire. Les contractuels et les assistants de cours sont devenus si importants dans l’opération des universités qu’ils sont devenus une main-d’œuvre à bon marché essentielle pour l’avenir des institutions.

À York, la grève n’est pourtant même pas au sujet des salaires, mais bien de la protection des droits acquis, notamment l’indexation des coûts des frais de scolarité, un principe qui permet aux personnes des milieux les plus démunis et des étudiants internationaux à mener à terme leurs études et mettre à profit leurs intérêts de recherche pour la société canadienne.

On entends des échos çà et là selon lesquels il y aurait trop de doctorants, trop d’étudiants aux cycles supérieurs, or, ce sont les institutions postsecondaires qui contrôlent leur propre recrutement. Elles ont besoin de cette main-d’œuvre pour maintenir leur enseignement auprès des étudiants au baccalauréat. La machine est devenue tellement complexe, les doctorants devenus tellement imbriqués dans elle, qu’il est impossible de la voir fonctionner sans eux.

Le système est brisé. Les grèves de l’Université York et de l’Université de Toronto en sont une preuve éloquente. Il faut maintenant retourner à la table des négociations. Pour l’avenir, il faut se questionner très sérieusement et de manière concertée avec tous les membres des communautés universitaires pour savoir quel est l’avenir de ce secteur? Pouvons-nous et devons-nous toujours avoir recours à une main-d’œuvre très qualifiée, mais très mal payée? Quelles valeurs sont chères à la cité savante?

Entre temps, on tourne en rond. Solidaires, les grévistes persistent.

 

Serge Miville est candidat au doctorat en histoire à l’Université York.

Note : Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.