Le combat des francophonies canadiennes

La photo représente les drapeaux du Canada et du Québec.
Les drapeaux du Canada et du Québec. Archives, #ONfr

[CHRONIQUE]
Une bombe est tombée vers la fin de la semaine dernière! C’est une énorme surprise pour de nombreux militants en francophonie minoritaire au Canada alors que le Québec s’est pointé à Ottawa contre eux lors de plaidoiries devant la Cour suprême du Canada en matière d’éducation dans la langue de la minorité au Yukon.

SERGE MIVILLE
Chroniqueur invité
@Miville

Bombe? Oui. Surprise? Pas vraiment. C’est la bombe de retardement de 1982 qui éclate chez les francophonies minoritaires. C’est le « moment 82 » qui arrive à sa finalité logique, en quelque sorte. Contrairement à tous les organismes qui dénoncent présentement le Québec, je ne suis pas surpris. D’ailleurs, je ne jette pas le blâme du côté du gouvernement de Philippe Couillard qui a d’autres choses à se faire pardonner.

Ce n’est rien de nouveau. À l’exception de Jean Lesage durant les années 1960 et de Louis-Alexandre Taschereau lors des années 1920 et 1930, les libéraux québécois se sont fait un malin plaisir à mettre des bâtons dans les roues aux velléités francophones. Rappelons que l’affaire Mahé de 1990 a attiré l’énorme opposition de Robert Bourassa.

Petite mise en contexte rapide : la Constitution que n’a toujours pas signée le Québec oblige les provinces d’après l’article 23 d’offrir des établissements scolaires dans la langue de la minorité. Or, la loi ne comprend pas qu’il existe 350 millions d’anglophones et autour de 8 millions de francophones en Amérique du Nord. Un gain francophone hors Québec devient aussi un gain pour la « minorité » anglophone du Québec.

Structurellement, au niveau constitutionnel, la famille canadienne-française est devenue, après le règne des libéraux de Pierre Elliott Trudeau, éclatée. La seule option pour retirer le Québec d’une décision au Yukon, par exemple, serait de mobiliser la clause dérogatoire qui équivaut – surtout pour des libéraux au Québec – au suicide politique.

Autrement dit : on se fait avoir, peu importe. Si les francophones perdent en Cour suprême, le Québec gagne. S’ils gagnent, c’est le Québec qui perd. La structure de la loi ne reconnaît pas explicitement le Québec comme société distincte, et ne fera jamais un jugement qui exclut le Québec.

Manque de perspective

Aussitôt les arguments venus de Québec contre le conseil scolaire franco-yukonais, aussitôt que les organismes francophones comme la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada se sont mis à dénoncer le Québec. On cible la mauvaise personne. Le Québec n’a jamais voulu de cette Constitution qui divise les francophones. La province a été forcée d’acquiescer. De plus, sa Loi 101 a été amputée à répétition par cette même Constitution qu’elle refuse toujours de signer.

Plutôt que de lapider les Québécois, il faudra se demander pourquoi les Franco-Yukonais sont en cour. Le professeur à la faculté de Droit de l’Université d’Ottawa, André Braën nous rappelle que c’est le territoire qui s’obstine contre sa minorité, pas le Québec. De mon côté, je rappelle que notre constitution applique l’article 23, peu importe la force relative de la minorité au pays.

Soyons clairs : le gouvernement Couillard a fait (encore) une bévue en n’ayant pas communiqué avec la FCFA pour discuter de la situation. Toutefois, il faut arrêter de voir cette situation comme un combat entre francophones.

Une Constitution se crée, et, lorsqu’une province entière la rejette, mais y demeure sujette, il faut se poser de sérieuses questions quant à sa légitimité. L’asymétrie et l’exception québécoise devraient être ajoutées à la Constitution du pays. Sinon, on se reverra devant les tribunaux, les uns contre les autres, comme des divorcés qui se haïssent.

À la prochaine fois.

 

Serge Miville est candidat au doctorat en histoire à l’Université York.

Note : Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.