Ce que « Monsieur » peut nous apprendre

L'ex-premier ministre du Québec, Jacques Parizeau, en 2009.

[CHRONIQUE]
Lorsqu’on évoque la mémoire de Jacques Parizeau, la plupart des Ontariens se souviennent d’abord de la soirée fatidique de 1995 quand le chef péquiste, qui a dévoué une vie entière à la cause souverainiste, a prononcé de douloureuses paroles qui lui mériteront l’étiquette de xénophobe. Or, Parizeau, ou « Monsieur », comme on venait à l’appeler, nous lègue aussi l’héritage d’un grand homme d’État; une personne de qui nous pouvons beaucoup apprendre.

SERGE MIVILLE
Chroniqueur invité
@Miville

Peu de gens à l’ouest de l’Outaouais se souviennent que c’est en grande partie en raison de Parizeau, le premier doctorant canadien-français de la prestigieuse London School of Economics, que le Québec a pu réussir sa Révolution tranquille. L’expansion Hydro Québec en monopole d’État, ce qui a été l’une des plus grandes réussites québécoises du XXe siècle, a été en partie l’œuvre de cet économiste qui, par son talent de négociateur et homme d’État, a réussi à convaincre les banquiers new-yorkais du bien-fondé du projet. De fait, la nationalisation de l’hydroélectricité a pu avoir lieu, et ce, sans l’argent canadien qui ne s’intéressait pas au projet. Cinquante ans plus tard, Hydro Québec demeure l’un des plus grands joyaux de cette province.

Parizeau a d’ailleurs été l’artisan de la Caisse de dépôt et placement, l’un des plus importants fonds d’investissement au monde. Cette caisse de retraite qui existe notamment en raison de l’argent accumulé par le régime de pension du Québec a injecté des milliards de dollars dans l’économie de la province. Il fallait une personne visionnaire pour le faire. Parizeau était l’homme de la situation.

Lorsqu’il devient le ministre des finances d’un premier gouvernement souverainiste, il réussit à sécuriser un premier prêt bancaire… à Londres! Bref, Monsieur a eu une très longue carrière avec de nombreuses réussites derrière la cravate. Il a d’ailleurs sacrifié ce qui aurait pu être une prestigieuse carrière d’économiste, certains le croyaient être un candidat idéal pour la banque du Canada, afin de se dévouer à l’indépendance du Québec, un projet qui est venu à un cheveu de réaliser.

 

Des leçons pour l’Ontario

Parizeau, contrairement à un Lucien Bouchard, voyait l’État comme le levier du peuple. Il ne fallait pas atteindre les déficits zéro sur le dos des citoyens. Il ne voyait pas le peuple comme des actionnaires de l’État, comme les clients qui achètent des services. Au contraire, l’État devait travailler pour améliorer la condition de l’ensemble des citoyens.

Il aurait été horrifié si le Québec imitait l’Ontario dans son présent projet de privatisation partielle d’Hydro One. Comment l’accepter, alors que l’institution est une véritable perle pour la province? Ancré dans l’histoire depuis 1905, Hydro One a le potentiel d’être pour l’Ontario l’épine dorsale de son économie. Or, elle sera désormais à la merci d’entreprises pour qui le seul souci n’est pas le bien-être de l’ensemble des citoyens, mais bien des profits pour ses actionnaires.

Que dire d’ailleurs du projet de Régime de retraite de l’Ontario que le gouvernement Wynne cherche à cacher dans le placard dans l’espoir qu’Ottawa bonifiera le régime fédéral avant la prochaine élection provinciale? C’est un secret de polichinelle que la première ministre regrette cette promesse et qu’elle mise sur une victoire de son cousin fédéral Justin Trudeau pour lui délivrer de cet engagement. Parizeau dirait certainement que le régime ontarien devrait être créé, peu importe la décision d’Ottawa. Il permettrait notamment la création d’un important fonds de capital d’investissement pour la province, ce qui donnerait une plus grande marge de manœuvre à la province pour développer son économie.

Peu importe notre opinion sur Jacques Parizeau, il demeure qu’il était un homme d’État avec une grande vision pour son peuple. Il a mis la main dans la pâte et a bâti de nombreuses institutions alors qu’aujourd’hui, les leaders politiques s’affairent surtout à tout couper avec leur zèle néolibéral. On aurait de nombreuses leçons à tirer de « Monsieur ». Il s’agit simplement de mieux le connaître.

 

Serge Miville est candidat au doctorat en histoire à l’Université York.

Note : Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.