Cause Caron : et si la Cour suprême disait oui…

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OTTAWA – La Cour suprême du Canada donnera son jugement définitif ce vendredi 20 novembre dans l’affaire Caron, sans doute la plus célèbre saga linguistique et judiciaire du moment. Entretien croisé avec l’avocat Mark Power et Claude Couture, professeur au Campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta, sur l’impact d’une décision favorable.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @SebPierroz

Une reconnaissance historique. L’enjeu de la cause Caron est avant tout de corriger une erreur « historique », rappelle Me Power. À savoir statuer sur le caractère unilingue anglophone de l’Alberta et de la Saskatchewan gravé dans le marbre depuis 1988. Tout remonte en 2003 lorsque Gilles Caron et Pierre Boutet, deux Franco-Albertains, avaient tous les deux contesté des contraventions rédigées seulement en anglais. En guise d’arguments, les avocats se basent toujours sur l’interprétation de la Proclamation royale de 1869. L’équivalent d’une convention constitutionnelle signée par le gouvernement de l’époque, soit les représentants de la Reine Victoria, et garantissant l’ensemble des droits des francophones et Métis de l’Ouest canadien (autrefois appelé Terre de Rupert et Nord-Ouest).« Il faut redécouvrir l’histoire du français », soutient Me Power. « Soixante pour cent des résidents de l’Alberta et de la Saskatchewan utilisaient le français à cette époque. »

Nouvelles lois. Un jugement favorable de la plus haute instance du pays obligerait l’Alberta et la Saskatchewan à remodeler leurs lois pour les francophones. « Dans le cas de l’Alberta, on assisterait au droit d’être entendu par les cours sans l’aide d’un interprète, ça ne serait qu’une question de temps », précise Mark Power. Les lois de la province seraient également de facto traduites dans les deux langues. Pour le moment, seule la Saskatchewan traduit une quarantaine de ses lois en français. « Ça serait dès lors la même chose qu’au Manitoba, sans pour autant ressembler au Nouveau-Brunswick. » Pour le professeur Couture, il appartiendra en revanche aux gouvernements de décider quelle avancée donner aux services francophones : « En Alberta, le gouvernement NPD de Rachel Notley semble ouvert aux francophones. Ça peut faciliter les choses et faire gagner du temps. On se souvient que dans le cas du Manitoba, la cause Forest en 1979 avait permis de rétablir une politique de bilinguisme dans la province. Mais les premiers principes de cette politique avaient mis dix ans pour se réaliser. »

Nouvel élan francophone. Outre le grand pas en avant juridique que représenterait une victoire dans la cause Caron, l’impact serait également « psychologique » pour les francophones, souligne M. Couture. À commencer pour les 34 écoles francophones présentes en Alberta. « Les parents d’élèves franco-albertains pourraient devenir plus revendicatifs. Par exemple, je pense au Conseil scolaire Centre-Nord à Edmonton dont le conseil d’administration est structuré de telle façon qu’il avantage les catholiques. Il y a eu beaucoup de plaintes, et un changement de mentalité pourrait se produire. La majorité des gens préfèrent l’école publique. » Quant à Me Power, une victoire en Cour suprême pourrait rimer avec un nouvel afflux d’immigrants francophones en Alberta. « Ça enverrait un signe puissant à ceux voulant venir s’installer dans cette province qui serait alors bilingue. L’utilisation du français serait encouragée, et les effectifs francophones gonflés. L’Alberta est en train de devenir un des moteurs pour la francophonie au Canada. »

Contestation. Un backlash de la part des anglophones envisageable? Pour Me Power, les 100 000 Franco-Albertains et 19 000 Franskaskois n’ont pas à s’inquiéter. « Il y a forcément des gens toujours insatisfaits, mais beaucoup de choses ont changé depuis que la Manitoba est bilingue (Il s’agit cependant d’une politique de bilinguisme non enchâssée dans la loi). Dans le cas de l’Alberta, il s’agit d’une province beaucoup plus multilingue et ouverte qu’auparavant. » Plus modéré, M. Couture évoque un « noyau de résistance au bilinguisme » toujours très présent. « On se souvient d’expressions d’hostilités profondes de certains anglophones dans les médias, notamment après la cause Mercure en 1988 (La décision de la Cour suprême dans cette cause semblable au dossier Caron avait alors donné raison à l’Alberta et la Saskatchewan de se déclarer unilingues anglophones). » Et de conclure : « Le monstre pourrait montrer à nouveau sa tête. »

Victoire du « non ». Une hypothèse probable, tant la cause a connu un chemin judiciaire tortueux. En 2008, la Cour provinciale de l’Alberta avait donné raison aux deux plaignants stipulant que l’Alberta avait l’obligation constitutionnelle de publier ses lois en anglais et en français. Un jugement alors aussi vite invalidé l’année d’après par la Cour du Banc de la Reine puis en février 2014 par la Cour d’appel de l’Alberta. « Si la décision est défavorable, ça ne veut pas nécessairement dire que le bilinguisme ne se fera pas », insiste M. Couture. « Le gouvernement de Mme Notley pourrait très bien décider de lui-même d’offrir des services en français. » De là à repartir pour un autre combat judiciaire? « Il serait très peu probable que les francophones repartent devant la Cour suprême une troisième fois, après la cause Mercure et en tenant compte d’un échec dans le dossier Caron », lâche Me Power.