Budget : Queen’s Park signale à droite

 

TORONTO – Élu sur un programme de gauche il y a moins d’un an, le gouvernement libéral de Kathleen Wynne a déposé, le jeudi 23 avril, un des budgets jugés parmi les plus à droite de l’histoire récente de l’Ontario. Un budget qui mise sur la privatisation pour paver l’avenir de la province.

FRANÇOIS PIERRE DUFAULT
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SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @SebPierroz

BENJAMIN VACHET
Collaborateur spécial
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Le grand argentier Charles Sousa a présenté à l’Assemblée législative un budget sans grande surprise, et dont les faits saillants avaient déjà été exposés dans le rapport de l’économiste Ed Clark sur l’avenir de certains biens publics de la province, une semaine plus tôt.

L’Ontario connaitra une autre année déficitaire. Une huitième d’affilée. La province entrevoit un manque à gagner de 8,5 milliards $ pour l’exercice 2015-2016, toujours le plus élevé au Canada. Mais le clan libéral dit toujours garder le cap sur le déficit zéro d’ici 2018.

La dette nette de l’Ontario s’établirait à 284,1 milliards $ pour la prochaine année, un bond de 6% par rapport à l’année dernière.

Ce troisième budget Sousa ne laisse entrevoir aucun nouvel impôt. Il mise sur une relance économique « solide » au cours de la prochaine année pour engranger les revenus nécessaires pour équilibrer les finances de la province et financer de nouvelles initiatives.

« Notre plan n’est pas de créer un gouvernement plus important. Notre plan est de créer un environnement propice à la croissance économique », a déclaré M. Sousa lors d’un briefing aux médias, peu avant le dépôt de son budget, le 23 avril.

 

Privatisation d’Hydro One

L’élément le plus probant de ce plan minceur de l’État est l’« élargissement de l’actionnariat », c’est-à-dire la privatisation d’une première tranche de 15% de la société de distribution et de transmission d’électricité Hydro One pour dégager des fonds destinés à l’infrastructure. Une mesure qui « produira des bénéfices durables » pour la province, selon le ministre.

La vente partielle d’Hydro One au secteur privé – combinée à d’autres revenus ponctuels comme la vente d’actions du gouvernement dans le constructeur automobile General Motors – pourrait ajouter jusqu’à 2,6 milliards $ dans les coffres d’un nouveau Fonds Trillium (FT) créé l’an dernier pour financer des projets de transport aux quatre coins de la province.

La dotation du FT passerait donc de 29 à 31,5 milliards $ sur dix ans. Le financement serait toujours séparé équitablement entre la grande région de Toronto et le reste de la province.

Les libéraux à Queen’s Park envisagent d’élargir la participation du secteur privé dans Hydro One jusqu’à 60% au cours des cinq prochaines années, ce qui dégagerait à terme des revenus de 4 milliards $ pour le FT après remboursement d’une partie de la dette du réseau provincial d’électricité.

Les tarifs d’électricité ne devraient pas augmenter à cause de cette mise à l’encan d’Hydro One, selon M. Sousa, puisqu’ils demeureraient sous le contrôle de la Commission de l’Énergie de l’Ontario.

Au total, le budget Sousa prévoit pour 2015-2016 des investissements dans l’infrastructure de l’ordre de 11,9 milliards $ à partir d’une enveloppe de 130 milliards $ sur dix ans pour les routes, les ponts, les transports en commun, les aqueducs, les hôpitaux et les écoles de la province.

« Il y a deux façons de voir le budget », a analysé à #ONfr le politologue Ian Roberge, du collège universitaire Glendon de l’Université York, à Toronto. « D’un côté, c’est un budget qui cherche à épater, notamment avec l’annonce sur l’infrastructure de 130 milliards $ sur dix ans. De l’autre, on ne nous dit pas clairement comment contrôler les dépenses. »

 

La bière au supermarché

Sous l’impulsion du rapport d’Ed Clark, la troupe de Kathleen Wynne enchâsse aussi dans son budget son intention, pour la première fois dans l’histoire de la province, d’élargir la vente de bière à 450 supermarchés d’alimentation.

Le changement viendrait casser le quasi-monopole que détient le Beer Store sur la vente de bière en Ontario depuis la fin de la prohibition, il y a près de neuf décennies. L’entreprise détenue à 98% par les grands brasseurs Labatt et Molson serait appelée à revenir à ses racines de coopérative, en faisant une plus grande place aux petits brasseurs artisanaux, entre autres.

« Nous modernisons la distribution et la vente de la bière en Ontario pour offrir plus de choix », a déclaré M. Sousa devant la presse.

Queen’s Park prévoit, par contre, instaurer une nouvelle taxe volumétrique sur la bière équivalente à 1$ par caisse de 24 bouteilles. Une taxe qui doit aiguiller des revenus supplémentaires de 100 millions $ par année vers les coffres de la province.

Cette libéralisation de la vente d’alcool, attendue depuis longtemps, n’a pas cependant pas convaincu l’opposition.

« Les spécialistes disent qu’il faut changer de direction mais le gouvernement persiste dans cette mauvaise direction qui creuse la dette et ne réduit pas le déficit », a vivement réagi Victor Fedeli, critique du Parti progressiste-conservateur en matière de Finances. « Ce gouvernement n’a pas été élu sur une plateforme faite de coupures et de privatisations. Il n’y a rien dans ce budget pour rendre la vie plus abordable aux familles ontariennes », a enchaîné la chef néo-démocrate Andrea Horwath.

 

Marché du carbone

Le budget Sousa réitère, d’autre part, l’intention des libéraux de rejoindre un marché du carbone avec la province de Québec et l’État américain de la Californie, dans le but d’encourager une réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur privé. Le document ne fournit toutefois aucun détail sur les bénéfices ou les coûts d’une telle mesure environnementale.

Comme par les années passées, les budgets de fonctionnement des ministères de la Santé et de l’Éducation doivent augmenter respectivement de 1,9% et 2%. L’enveloppe de la Justice doit augmenter de 1,5% et celle des Services sociaux, de 2,9%. L’enveloppe de la formation postsecondaire doit être gelée. Tous les autres ministères devraient écoper d’une baisse moyenne de 5,5% de leurs revenus.

Aux yeux d’Ian Roberge, du collège universitaire Glendon, toutefois, la hausse des enveloppes les plus importantes, soit celles de la Santé et de l’Éducation, viendrait plus ou moins annuler les compressions dans d’autres ministères.

La rémunération dans le secteur public serait gelée pour une quatrième année consécutive, à moins qu’un ministère ou une agence gouvernementale réussisse à trouver ailleurs dans ses coffres des économies équivalentes à la hausse salariale consentie à ses employés.

Une bonne partie de l’ébauche budgétaire 2015 de l’Ontario est, par ailleurs, consacrée au rappel d’investissements déjà annoncés, comme le prolongement de l’autoroute à péage 407 dans la région de Durham et le projet ferroviaire de Ligne de la Confédération à Ottawa.

Au chapitre des rappels, s’ajoute la création d’un programme d’épargne-retraite provincial pour bonifier le Régime de pensions du Canada, déjà annoncée en 2014. À la promesse de réduire les primes d’assurance-automobile de 15%, déjà dans l’air depuis 2013, la province pourrait greffer un rabais obligatoire pour les automobilistes qui utilisent des pneus d’hiver.