Vers un divorce entre les libéraux et les Franco-Ontariens?

Kathleen Wynne
La première ministre de l'Ontario, Kathleen Wynne. Crédit image: Maxime Delaquis

[CHRONIQUE]

Toutes les études l’ont démontré, les Franco-Ontariens ont tendance à soutenir électoralement le Parti libéral, au niveau fédéral, mais aussi au niveau provincial. Au niveau provincial, l’histoire est plus mouvementée ou à tout le moins à nuancer. Soit, historiquement, les conservateurs ont méprisé et ostracisé les Franco-Ontariens, du Règlement XVII à l’Hôpital Montfort.

AURÉLIE LACASSAGNE
Chroniqueuse invitée

Les libéraux nous ont donné la Loi sur les services en français, mais c’est sous un gouvernement conservateur que les conseils scolaires de langue française ont été créés. Depuis 2003, notre province est gouvernée par les libéraux, avons-nous réalisé des avancées majeures?

On notera d’emblée les efforts et l’engagement à s’exprimer en français de la part de Dalton McGuinty et de Kathlyn Wynne, c’est un fait incontestable. En même temps, on ne peut passer sous silence le fait que le Parti libéral n’ait jamais hésité à présenter des candidats unilingues anglophones dans des circonscriptions telles que celle de Sudbury qui pourtant abrite un bon 20 % de francophones.

Il faut également reconnaître que, sous le leadership exceptionnel de Madeleine Meilleur, la cause des femmes francophones fut entendue et défendue. L’augmentation conséquente des budgets en faveur de la lutte contre les femmes francophones victimes de violences en témoigne.

Cependant, il faut souligner le travail extraordinaire de lobbying de l’Action contre la violence faite aux femmes (AOcVF), le fait que Sudbury n’a toujours pas de maison d’hébergement pour les francophones, ou encore le fait que les salaires dans les organismes communautaires francophones œuvrant dans ce secteur sont bien inférieurs à ceux des organismes anglophones. Autrement dit, l’effort de rattrapage a été réel, mais il reste du chemin à parcourir.

Demeurent quatre dossiers principaux dans lesquels le bât blesse : le statut de ville bilingue pour Ottawa, l’Université de langue française, l’immigration, et les services de santé. Sur ces dossiers, depuis bientôt 14 ans que les libéraux sont au pouvoir, on étudie et on évalue dans le jargon politique, on chipote et on nous niaise dans le jargon populaire. Passons-les rapidement en revue.

Les services de santé

Avouons que les problèmes, lacunes, et manquements du système de santé concernent également nos concitoyens anglophones, mais bien sûr pour nous, la situation est encore plus désespérante. L’accès à un professionnel de santé représente un véritable parcours du combattant. Les hôpitaux, obligés de respecter un équilibre budgétaire absurde, licencient des infirmières francophones.

40 % des femmes ontariennes voudraient avoir accès à une sage-femme alors quand on sait que seule l’Université Laurentienne offre ce programme de formation en français, la situation n’est pas prête de s’arranger pour les mères francophones. Le manque de professionnels en santé mentale est criant. Il n’y a, à toute fin pratique, qu’une dermatologue francophone pour tout le Nord de l’Ontario.

À Sudbury, l’accès à l’avortement, déjà très limité par le fait qu’une seule praticienne œuvre pour faire respecter ce droit, peut être encore plus difficile alors que cette praticienne n’est pas francophone.

Je pourrais continuer, mais il faudrait une chronique hebdomadaire pour faire état de toutes les lacunes. En attendant, il faut se contenter de « réseaux » de bienêtre et autres services, bref, d’institutions managériales qui ne livrent aucun service de première ligne, mais qui siphonnent des budgets à faire pâlir un ministère de la Défense.

L’immigration

5 % 5 % 5 % c’est le chiffre magique brandi par le gouvernement, la cible à atteindre. 5 % d’immigrants francophones dans la province! Sauf que pour atteindre cette cible, la province n’a ni arc ni flèche, aucun plan d’action. Ajoutons à cela que depuis des années les relations entre le gouvernement provincial et le fédéral dans ce domaine ont été houleuses.

Disons, pour parler en termes politiques, qu’il existe des problèmes d’harmonisation, de synergie, d’alignement, ce qui ne manque pas de créer des effets négatifs. Sans compter sur le fait que les immigrants francophones qui arrivent dans la province, très majoritairement dans la région de Toronto et celle d’Ottawa, se trouvent confrontés à des problèmes insolubles, notamment en ce qui a trait à la scolarisation de leurs enfants.

Et je ne parle même pas du fait que ces immigrants arrivent dans des métropoles où bien souvent, ils vont fréquenter, bien naturellement, et on ne peut leur reprocher, leur communauté d’origine et non rejoindre la communauté franco-ontarienne, soit parce qu’elle est inexistante, soit parce qu’elle est fermée sur elle-même.

Bref, on loupe complètement le coche par rapport à l’idée première qui est d’accueillir des immigrants qui contribuent à l’épanouissement de la communauté franco-ontarienne.

Une université de langue française

Comité! Étude! Évaluation! On y pense, on réfléchit. On a d’abord essayé de nous faire avaler une université de langue française virtuelle, des cours en ligne, c’est bien, ça ne coute pas cher.

Sous la pression, il semble que cette idée néfaste (et vouée à l’échec, dans ce cas-là un étudiant franco-ontarien pourrait suivre les cours de la TÉLUQ, qui existe depuis longtemps, jouit d’une excellente réputation grâce à la qualité de l’enseignement dispensé, pourquoi dans ces conditions serait-il pris de folie de suivre des cours en ligne dans un truc à rabais, fait tout croche au dernier moment?) ait été abandonnée. Finalement un conseil de planification a été créé!

Comme s’il fallait encore cogiter devant l’évidence, le droit, les multiples états généraux, rapports, études déjà existantes, publiés sur la question. On temporise une fois encore. Parce que si le gouvernement est prêt à investir des millions pour construire (ils aiment ça les gouvernements libéraux construire des écoles. À Sudbury, en l’espace de dix ans, la quasi-totalité des écoles ont été reconstruites! Elles n’ont pas acheté un livre en 20 ans, on négocie férocement sur les jours de maladie des enseignants, mais construire, ce n’est jamais un problème, il y a toujours de l’argent), il n’est pas prêt sur le long terme à payer des professeurs.

Surtout, surtout, il n’est pas prêt à l’idée qu’en Ontario, 100 ans après le Règlement XVII, on forme des francophones capables de penser, de s’organiser, de se mobiliser. Le fond de l’histoire, il est là. Le gouvernement de l’Ontario n’a pas trop rechigné à nous donner la gestion de collèges de langue française.

Former des francophones à des métiers techniques, c’est dans la suite logique de leur pensée, les Franco-Ontariens, c’est bon pour être des manœuvres et des ouvriers, pas des penseurs, trop dangereux. Durham l’a dit, un peuple sans culture et sans littérature. Sauf que si, nous avons une culture et une littérature et que, quelque part, deep down, depuis 150 ans, ça les embête, ça marque l’échec de leur politique d’assimilation, et pourtant ils ont tellement travaillé fort pour ça (nous aussi d’ailleurs, qu’on se le dise, soyons francs!).

Ottawa bilingue

On fête les 150 ans du Canada, occasion unique de rendre enfin la capitale nationale bilingue, après tout cela ne serait-il pas logique? Et bien non. Non seulement, le maire et une bonne partie des conseillers ne veulent pas en entendre parler, mais Kathleen Wynne a signifié qu’elle ne soutenait pas la démarche. Les arguments du non reposent, comme d’habitude, sur les couts! Ça va couter cher si Ottawa devient bilingue, il faudra tout traduire.

Sauf que c’est un argument fallacieux (comme d’autres l’ont souligné dans le cas de Sudbury). Un simple coup d’œil au site web de la Ville d’Ottawa suffit pour vous convaincre que, de toute façon, la plupart des documents sont déjà traduits, donc il n’y aurait pas beaucoup de frais supplémentaires, c’est juste qu’ils ne sont pas capables de supporter le symbolisme d’une telle décision. Pourtant ils sont forts sur les symboles, et nous, s’il y a un geste symbolique que l’on voudrait voir, c’est bien celui-là.

Quand on dresse le tableau comme cela, la situation n’est guère reluisante. Alors les libéraux, puisque c’est leur marque de fabrique, sont très forts pour redorer le blason, au sens quasiment propre du terme. Ils peinturent sur les côtés, font dans le symbole. Et que je te sors le drapeau, et que je t’édifie un monument, et que je te reconnaissance le Notre Place comme hymne officiel. Bref, ils excellent dans la muséification. C’est gentil, ça met du baume au cœur, ça ne coute pas cher. Business as usual, comme à des singes, on pense qu’en leur lançant quelques peanuts, ils vont être contents et voter pour nous.

Mais même si l’on nous refuse l’accès à une institution universitaire qui nous permettrait de créer une classe pensante, des gens à l’esprit critique, on s’est quand même un petit peu débrouillé, par nous même, pour apprendre à penser.

Et du coup, une proportion croissante de francophones ne veut plus se contenter de peanuts et autres symboles, ils exigent des actions et des changements concrets. Et si le message ne passe pas, ils pourraient bien aux prochaines élections, qui arrivent à grands pas, changer leur allégeance et se laisser séduire par Patrick Brown, qui parle somme tout plutôt pas mal français, et qui est en mode séduction auprès de la communauté franco-ontarienne.

Aurélie Lacassagne est professeure agrégée en sciences politiques à l’Université Laurentienne. 

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