Suicide assisté : « N’oubliez pas l’aspect linguistique »

Un jugement de la Cour suprême du Canada oblige les gouvernements fédéral et provinciaux à légiférer sur l'aide médicale à mourir. Thinkstock

TORONTO – Alors que le gouvernement fédéral modifie la loi pour légaliser l’aide médicale à mourir, les provinces sont à déterminer les balises pour encadrer ce délicat processus. Des acteurs franco-ontariens de la santé espèrent que Queen’s Park écoutera les besoins particuliers des francophones avant de prendre ses décisions.

ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER
efgauthier@tfo.org | @etiennefg

« Quand le suicide assisté va être offert, ce sera important que les spécialistes de la santé soient en mesure de communiquer dans la langue de la personne. Si on arrive en fin de vie et qu’il y a des lacunes dans la communication, ça va amener toute sorte de catastrophes », souligne Jean Roy, vice-président du Réseau franco-santé du Sud de l’Ontario, qui travaille à développer l’offre de services en français.

M. Roy est aussi l’un des six membres du comité consultatif francophone du ministre de la Santé et des Soins de longue durée de l’Ontario, le Dr Eric Hoskins. Si les discussions de ce comité sont confidentielles, il a néanmoins révélé à #ONfr que le sujet du suicide assisté avait été abordé récemment.

« Des recommandations ont été faites pour qu’on tienne compte des francophones en amont et non pas en aval lors de la mise en place des protocoles. On veut éviter que les choses se fassent et que la question des francophones devienne un ajout à la toute fin », fait-il valoir. « N’oubliez pas l’aspect linguistique! », lance-t-il à l’intention des dirigeants ontariens de la santé.

L’aide médicale à mourir est autorisée en Ontario à compter du lundi 6 juin, à la suite d’une décision de la Cour suprême du Canada.

La directrice de l’Entité 4 de planification des services de santé en français affirme qu’il est plus que jamais nécessaire d’aborder de front la question du suicide assisté. « Il n’y a pas de décision plus importante dans sa vie. Ça demande d’avoir un consentement éclairé, alors qu’il est nécessaire de n’avoir aucun doute possible », souligne Estelle Duchon.

Son organisation partage ses recommandations aux réseaux de la santé d’une large région qui comprend notamment York, Simcoe, Peterborough, Durham et Muskoka. « Une chose qu’on leur a dit, c’est qu’une fois que ça va être adopté, il faudra avoir une liste des médecins qui peuvent pratiquer le suicide assisté et qui sont véritablement capables de parler le français », souligne-t-elle.

Question de dignité

Face aux difficultés qu’ils rencontrent à dénicher un médecin s’exprimant en français, plusieurs Franco-Ontariens se tournent vers des médecins anglophones. Ça ne peut tout simplement pas être une option dans le cas du suicide assisté, tranche Mme Duchon. « Il y a des discussions préalables à avoir entre le patient et le médecin. Ce genre de discussions, on doit les avoir dans sa langue maternelle. C’est une question de dignité », souligne-t-elle.

La question du suicide assistée semble rendre inconfortables d’autres acteurs ontariens de la santé. Trois d’entre eux ont décliné nos demandes d’entrevues à ce sujet au cours des derniers jours.

Léo Therrien, directeur de la Maison Vale à Sudbury, a, lui, accepté de répondre à nos questions. Il affirme que son institution, qui offre des soins palliatifs, n’offrira pas de sitôt l’aide médicale à mourir. « Nous, on ne veut pas éliminer le patient, mais plutôt éliminer la douleur. Le principe des soins palliatifs est de l’accompagner en fin de vie, pas de le pousser à la mort », affirme-t-il.

Selon lui, si de meilleurs soins palliatifs étaient offerts en Ontario, moins de personnes demanderaient l’aide médicale à mourir. Son organisation a néanmoins adopté une résolution qui encadre la marche à suivre dans l’éventualité où un patient de la Maison faisait part de son désir d’opter pour le suicide assisté. « Nous allons les référer à un autre service. Pour l’instant, il est inexistant tant que la loi n’est pas sortie, cependant », explique-t-il.

La Cour suprême a forcé le gouvernement à modifier le Code criminel, afin de ne plus criminaliser le suicide assisté. Les nouvelles balises fédérales doivent permettre de déterminer quels patients sont accessibles à l’aide médicale à mourir. Des individus souffrant de maladies dégénératives pourraient donc s’en prévaloir, même s’ils ne sont pas en fin de vie.

« L’Ontario continuera d’observer de près le projet de loi fédéral et maintiendra le dialogue avec les représentants fédéraux, ainsi que ceux des provinces et des territoires sur les enjeux reliés à cette loi, le cas échéant », a déclaré pour sa part le Dr Eric Hoskins dans un communiqué conjoint avec la Procureure générale et ministre responsable des Affaires francophones, Madeleine Meilleur, le 6 juin. « L’Ontario apportera également des modifications à la législation provinciale afin de contribuer davantage à la mise en œuvre de l’aide médicale à mourir. »