Santé en français : des chiffres cachés

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TORONTO – Des acteurs francophones de la santé en Ontario ont appris avec stupéfaction que le gouvernement a entre ses mains des données clés qui permettraient d’améliorer les soins de santé en français dans la province. Une révélation surprenante, alors que la province se présente comme un leader de l’accès aux données.

ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER
efgauthier@tfo.org | @etiennefg

« On était sous l’impression que la donnée linguistique n’était pas récoltée en Ontario. On apprend le contraire, c’est surprenant. On est très étonné d’apprendre cela. Ça pourrait changer nos stratégies de planification », a confié Michel Tremblay, directeur général de la Société Santé en français.

Lors du Sommet sur les ressources humaines en santé la semaine dernière à Toronto, il a appris comme une quinzaine d’autres intervenants, que le gouvernement récolte de l’information sur les langues parlées par les acteurs de la santé, en plus d’autres précieuses données.

La révélation faite par un fonctionnaire, lors d’un atelier auquel #ONfr assistait, a provoqué de vives réactions. Un autre acteur de la santé, qui préfère conserver l’anonymat, est renversé. « On se plaint au gouvernement depuis des années de ne pas avoir ces données et maintenant on apprend qu’ils les avaient! Dans une ère de données ouvertes, c’est tout simplement incompréhensible et injustifiable », a indiqué cet intervenant.

« En 2016, il faut avoir un meilleur partage des informations. La loi sur la protection de la vie privée a le dos très large. On pourrait utiliser ces données pour mieux servir les gens malades qui ont besoin d’aide en français », d’ajouter cet intervenant franco-ontarien. Il ne comprend pas que des organismes qui travaillent avec le gouvernement à mieux bâtir le réseau de la santé ne puisse pas consulter ces informations névralgiques.

Pour le grand public, le site web de l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario permet bel et bien de trouver des médecins qui disent connaître le français. Mais la base de données est incomplète et s’appuie uniquement sur des déclarations volontaires.

« On voit parfois des médecins qui disent sur ce site qu’ils peuvent offrir des services en français. Mais en approfondissant un peu, on réalise qu’il n’y a que la secrétaire qui s’exprime en français », révèle Michel Tremblay.

Il affirme que les données de l’Ordre ne comportent pas assez d’informations sur suffisamment de spécialistes de la santé pour pouvoir être utilisées. « Avec les données du gouvernement, nous pourrions voir le nombre de spécialistes francophones et où ils sont. Savoir dans quelles villes, dans quels hôpitaux ou cliniques et savoir quelles sont leurs spécialités et le profil de leurs clientèles », souligne le directeur de Société santé en français.

Protection de la vie privée

Le gouvernement ontarien se targue d’être à l’avant-garde en matière d’accès aux données. Une nouvelle directive des données ouvertes doit même entrer en vigueur en avril prochain. Elle s’appliquera à l’ensemble des ministères et organismes de l’administration publique. Mais les données sur la langue d’expression des spécialistes de la santé seront-elles aussi rendues publiques? Rien n’est moins sûr. La nouvelle loi doit se conformer aux autres lois qui touchent la protection de la vie privée, souligne le gouvernement.

« Dans le cas qui nous intéresse, les données ne peuvent être divulguées en raison de la Loi de 1991 sur les professions de la santé réglementées. Le gouvernement est ouvert à rendre accessibles plus d’informations, mais il est vrai que les lois sur la vie privée viennent souvent compliquer les choses », explique Tim Blakley, directeur intérimaire de la Direction des politiques des ressources humaines en santé du gouvernement ontarien.

L’impossibilité pour plusieurs organismes francophones d’obtenir des informations qui leur permettraient de mieux faire leur travail est une conséquence de la complexité du système de santé actuel, disent plusieurs intervenants.

Par exemple, le ministère de la Santé finance des « Entités de planification des services de santé en français » qui conseillent les réseaux locaux d’intégration des services de santé (RLISS). Malgré ces liens étroits entre les Entités et le gouvernement, les Entités ne peuvent pas avoir accès aux données tant réclamées.

« Il faut clarifier les responsabilités et le rôle de chaque acteur dans le système. Il y a le Ministère, les RLISS, les Entités, les fournisseurs de services… On a besoin de comprendre qui est responsable ici », selon Michel Tremblay qui observe attentivement la dynamique qui s’est établie en Ontario au cours des dernières années.

Des acteurs impliqués seraient aussi prêts à laisser le Ministère fouiller dans les données brutes, mais exigeraient en contrepartie un accès aux résultats de ces analyses qui ne nuiraient alors plus à la confidentialité des médecins et autres spécialistes de la santé.