Sans-papiers francophones : « L’enfer au quotidien »

Malia habite dans une toute petite chambre dans un refuge à Toronto avec ses trois filles. Étienne Fortin-Gauthier

TORONTO – De nombreux francophones de Toronto sont sans statuts et attendent depuis des années une régularisation de leur situation. Disant être victimes de discrimination de plusieurs acteurs de la société, ils dénoncent la vie de misère qu’ils doivent endurer.

ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER
efgauthier@tfo.org | @etiennefg

« Mon immeuble est infesté de coquerelles. Elles sortent de la douche et viennent dans la cuisine. Pendant le repas, elles vont dans la nourriture de mes enfants. C’est dégoûtant », raconte Angélique, une mère de famille franco-torontoise. À sa demande, #ONfr ne l’identifie pas pour la protéger de toutes représailles.

Depuis plusieurs années, son dossier est devant les autorités gouvernementales en immigration. « Je ne peux pas retourner dans mon pays. Mais ici, ma situation est intolérable », souligne Angélique. Elle attend de savoir si elle pourra enfin devenir une véritable Canadienne.

Le logement qu’elle a obtenu est loin d’être à la hauteur, mais les autres qu’elle appréciait lui ont été refusés, dit-elle. « Quand je parle de mon statut et que je dis que j’ai des enfants, tout est gâché. On ne veut plus me louer », raconte Angélique. « D’autres me disent que les dernières femmes africaines à qui ils ont loué se prostituaient. Ce n’est pas parce que j’ai la peau noire que je vais faire la même chose », lance-t-elle avec colère.

Avec l’argent qu’elle reçoit de l’aide sociale, elle dit pouvoir payer seulement son logement et le minimum vital pour ses enfants. « On se prive de beaucoup. Je fais tout pour que mes enfants aient suffisamment de nourriture, des vêtements et un toit », dit-elle.

Il y a deux ans, Angélique a postulé pour obtenir un logement social. « Il me reste au minimum 6 ans à attendre », confie-t-elle. L’organisme Housing Connections confirme cette donnée. Huit ans et demi sont nécessaires pour obtenir un logement alors que 96317 familles sont sur la liste d’attente.

Malgré ses difficultés, elle prend la vie avec philosophie. « Nous, femmes immigrantes, nous avons toutes une histoire. Si je compare ma vie actuelle à mon passé, je dirais que ça va. Rien n’est mieux que la liberté », dit-elle simplement.

Une autre femme franco-torontoise originaire d’Afrique s’est confiée à #ONfr. Malia (nom fictif) habite dans un refuge depuis septembre dernier. Dans une toute petite chambre, elle vit avec ses trois filles, dont deux sont grièvement malades. « Nous vivons l’enfer au quotidien », souligne-t-elle.

Elle dit aussi avoir été victime de discrimination. « Les propriétaires d’appartements aiment mieux les chats et les chiens que les enfants », lance-t-elle avec exaspération.

Ses filles sont canadiennes. Malia espère ne pas être déportée dans son pays d’origine. Elle attend depuis des années la décision finale des autorités canadiennes.

« Je n’avais jamais imaginé qu’au Canada il y avait des itinérants et qu’une famille avec des enfants serait forcée de vivre dans un refuge », dénonce-t-elle. « Cette instabilité ne peut être réglée que si l’immigration régularise ma situation. Si l’immigration ne fait rien, j’ai des enfants canadiens qui seront perdus », ajoute-t-elle.

Nos deux intervenantes affirment qu’en théorie, elles peuvent travailler au Canada. Mais que plusieurs employeurs ne veulent pas accorder d’emploi à une personne qui n’a pas de statut, souvent de crainte de devoir remplir de nombreux documents ou de voir l’employé rater des journées pour ses rencontres avec les autorités de l’immigration canadienne.

Loin d’être des exceptions

Oasis Centre des femmes réfère entre 100 et 200 femmes francophones par année à des refuges. Plusieurs d’entre elles ont été victimes de violence conjugale et attendent une régularisation de leur statut. Même si elles peuvent habituellement obtenir l’aide sociale, la plupart d’entre elles vivent dans une situation de précarité extrême.

« Avant pour 600$, on pouvait avoir un petit appartement à Toronto. Aujourd’hui, c’est impossible », souligne Germaine Ngono, intervenante en appui transitoire et au logement à Oasis.

La transformation du marché immobilier torontois pèse lourd sur de nombreux francophones à faible revenu.

« Il y a une augmentation dans le prix des loyers et ça affecte nos clientes. Elles ne peuvent pas vraiment avoir un appartement au prix du marché, considérant que plusieurs vivent de l’aide sociale », souligne Mme Ngono.

Oasis Centre des femmes, tout comme de nombreux organismes sociaux torontois, exigent des autorités des gestes concrets pour lutter contre la crise dans le logement social.

Récemment, le maire de Toronto, John Tory, a demandé l’aide du gouvernement en la matière. Il dit vouloir travailler de pair avec le fédéral, maintenant que les nouveaux investissements en infrastructures ont été annoncés.