Réformer la Loi sur les services en français

[ANALYSE]

Le 18 novembre 1986, Bernard Grandmaître annonçait solennellement l’adoption de la Loi sur les services en français (Loi 8). Trente ans après, l’anniversaire du texte législatif a déclenché un certain engouement tout au long de la semaine dans la communauté franco-ontarienne. Un fait normal.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

D’une, la loi est devenue au fil des années un référent commun des plus importants pour les 611 500 Franco-Ontariens, au même titre que le drapeau vert et blanc ou l’épisode de l’Hôpital Montfort.

Mais si l’anniversaire est tant célébré, c’est aussi parce que la loi la plus symbolique de l’Ontario français est aujourd’hui à bout de souffle. La preuve : durant les huit dernières années, seules deux régions ont été désignées, Kingston (2009) et Markham (2015).

Et encore, il s’agit de désignations discrétionnaires puisque ces deux territoires n’entraient pas dans les critères de la Loi 8. À savoir au moins 10 % de francophones ou dans les centres urbains, un total de 5 000 francophones.

Plus de 100 000 Franco-Ontariens ne bénéficient pas des services en français dans leur région, et les critères devenus trop restrictifs de la Loi font qu’ils n’y auront probablement pas accès dans les prochaines années. C’est le cas de Vaughan, Waterloo, Peterborough, Thunder Bay, Barrie, Sarnia, etc.… Rien n’indique dès lors qu’il y aura une 27e région désignée.

Les obstacles ont même été tortueux pour la municipalité d’Oshawa dans la banlieue est de Toronto. Les francophones avaient d’abord vu plus grand en exigeant la désignation de la grande municipalité de Durham, avant de restreindre leur demande sur Oshawa. Deux échecs consécutifs, et sept ans de perdus, faute d’appuis politiques locaux.

Le malaise enfle si l’on compare les années 1980 à 2016. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts. Les francophones ont gagné la gestion de leurs conseils scolaires, des écoles se sont construites, l’Ontario français a acquis un visage plus multiculturel.

C’est donc une francophonie plus disséminée qui n’est pas regroupée dans les grands centres urbains. Une francophonie peut-être aussi formée de plus de « nouveaux arrivants » désireux de recevoir des services dans leur langue maternelle. Sans compter que l’explosion d’internet a obligé à repenser ces services sur un territoire élargi, et non plus à un endroit donné.

Enfoncée dans un chemin sans issue, la Loi 8 a besoin aujourd’hui d’une refonte urgente. Le commissaire aux services en français, François Boileau, l’a compris en proposant une nouvelle loi laquelle ferait de l’Ontario une région « entièrement désignée ». Vendredi dernier, la ministre déléguée aux Affaires francophones a pris la balle au bond en s’engageant à son tour à une réforme la Loi 8.

Trait d’union entre un gouvernement majoritairement anglophone et la communauté franco-ontarienne, Marie-France Lalonde devrait sans doute faire preuve de beaucoup de persuasion.

Et puis, que vaut vraiment cet engagement? Le gouvernement de Kathleen Wynne n’a certes pas donné de feux rouges aux francophones. Mais force est de constater que l’université franco-ontarienne est encore à l’état de simple ébauche, le dévoilement du rapport sur l’immigration traîne depuis un an et demi. Sur le bilinguisme officiel de la Ville d’Ottawa, l’idée est soigneusement renvoyée à la table des élus ottaviens.

Il faudra probablement faire vite pour réformer la Loi 8. Car les francophones n’ont plus, cette fois-ci, 30 nouvelles années à attendre.

Cette analyse est aussi publiée dans le quotidien Le Droit le 19 novembre