Réflexions sur la décision de 1 601 pages

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[CHRONIQUE]

La décision est tombée dans le méga procès sur l’éducation en français en Colombie-Britannique. Cette décision est un coup dur pour les francophones d’ici mais aussi potentiellement pour les francophones d’ailleurs au pays.

REMI LÉGER
Chroniqueur invité
@ReLeger

 Les enjeux soulevés dans ce procès se résument mal en quelques mots. Le dossier déposé par le Conseil scolaire et les parents francophones portait à la fois sur la gestion des admissions dans les écoles, la maîtrise du dossier de la petite enfance, la construction de nouveaux établissements et le financement des programmes et du transport scolaires.

La décision fait 1 601 pages. Les médias et les commentateurs parlent d’une décision mitigée, partagée ou encore d’une victoire partielle. Ces formules nous portent à penser que la décision n’est pas une victoire éclatante pour les francophones, mais qu’elle n’est pas terrible non plus.

Je n’en fais pas la même lecture. La décision inquiète beaucoup. Dans plusieurs communautés à travers la province, les francophones ne sont pas plus près d’obtenir une école digne de son nom qu’ils ne l’étaient avant ce procès. Les longs trajets en autobus vers des portatives sont toujours à prévoir pour plusieurs enfants francophones en Colombie-Britannique.

Loin de moi de vouloir minimiser la partie de la décision concernant le modèle de financement des écoles. La juge Russell ordonne à la province de créer un fonds distincts pour la rénovation ou la construction d’écoles francophones. Il reste cependant que ce fonds devra être négocié entre le Conseil scolaire francophone et la province, d’autant plus que ses paramètres ne sont pas précisés dans la décision, ni l’échéancier de sa mise en œuvre.

Plus globalement, la décision confirme aussi que les francophones sont en terrain hostile en Colombie-Britannique. En lisant le document, j’ai cru entendre la juge nous dire « arrêtez de nous faire perdre du temps, petits francophones, avec vos droits linguistiques; c’est la majorité anglophone qui décide dans cette province-là ».

La province, après tout, a refusé le dépôt de preuves en français devant ses tribunaux, sur la base d’une veille loi issue du droit colonial anglais. Nous sommes aussi dans la province qui refuse de donner suite à la décision de la Cour suprême du Canada qui donne pourtant raison aux parents dans le dossier de l’école Rose-des-vents.

De fait, l’argumentaire de la juge Russell cache mal les contours d’une nouvelle interprétation des droits linguistiques au pays. Linda Cardinal et moi avons anticipé cette nouvelle interprétation dans un texte publié à la suite de la décision Caron c. Alberta.

Depuis le jugement Mahé en 1990, les experts s’entendaient généralement pour dire que les droits linguistiques devaient faire l’objet d’une « interprétation libérale et généreuse ». Selon cette interprétation, les droits linguistiques au pays ont un caractère réparateur et visent ultimement à assurer l’égalité réelle du français et de l’anglais ainsi que l’épanouissement des collectivités de langue officielle.

Il va sans dire que la juge Russell ne souscrit pas à l’interprétation « libérale et généreuse ». En fait, son approche, sans l’avouer, pose les jalons d’une interprétation restrictive des droits linguistiques.

À maintes reprises, la juge reconnaît des manquements au respect des droits linguistiques ou encore des disparités entre les écoles francophone et anglophone dans une même communauté. Si l’approche libérale et généreuse exigeait des mesures visant à rectifier les torts causés, la juge Russell estime que ces disparités ou ces manquements sont justifiés dans une « société libre et démocratique ».

En effet, la juge limite la portée de l’article 23 en faisant appel à l’article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés. Ce dernier stipule que les droits garantis par la Charte peuvent être restreints « dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ».

En somme, cette décision est majeure pour les minorités francophones au pays. Il faut l’analyser soigneusement et lutter pour un retour à une interprétation libérale et généreuse des droits linguistiques.

Rémi Léger est professeur en sciences politiques à l’Université Simon Fraser, à Vancouver.

Note : Les opinions exprimées dans les chroniques publiées sur #ONfr n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.