Quand l’Acadie remettait la pendule à l’heure de la Confédération

Gaétan Migneault se penche sur le lien entre l'Acadie et la création de la Confédération.

[COLLOQUE DUALITÉ CANADIENNE]

Plusieurs théories sont formulées pour expliquer l’union des colonies britanniques de l’Amérique du Nord en 1867. Elles s’inspirent toutes de passages obscures tirés des discours politiques de l’époque prononcés sans réserve pour obtenir une influence maximale sur le public visé. Non seulement ces allocutions contrastent avec les termes juridiques utilisés pour exprimer l’intention des auteurs de l’entente, mais l’Acadie y est généralement absente.

GAÉTAN MIGNEAULT
Chroniqueur invité
@Mignot72

La théorie la plus prometteuse pour les minorités provinciales de langues officielles est généralement celle des deux peuples fondateurs. Par contre, même celle-ci ne vise pas les francophones hors Québec. Elle découle de l’entente survenue entre les représentants du Canada-Ouest (l’Ontario) et du Canada-Est (le Québec) visant à se défaire du régime politique impraticable de l’union de 1840. Les deux peuples fondateurs sont alors les anglo-protestants de l’Ontario et les franco-catholiques du Québec, sans aucune considération pour les francophones d’ailleurs dans les quatre provinces originales.

Cette théorie se reflète notamment dans le choix d’une structure fédérale pour le pays et à l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 en limitant les protections linguistiques aux seuls niveaux fédéral et québécois.

En fait, dans sa version originale, les Acadiens du Nouveau-Brunswick rejetèrent à deux occasions la théorie des deux peuples fondateurs lors d’élections provinciales. Ils se soucièrent peu de l’union favorisée par Londres, Toronto et Québec. Bien que leur position leur valu d’être qualifiés d’ignorants, d’illettrés ou d’asservis à une élite cléricale, les Acadiens surent reconnaître assez tôt que les résolutions de Québec ne leur offraient rien de concret et ils agirent en conséquence. Tout comme ils désavouèrent l’accord du lac Meech de 1987 qui les ignora.

Leur rejet de la Confédération ne fut donc pas accidentel ou le produit d’une influence malveillante. Ils avaient déjà quelques succès dans l’arène politique provinciale et ce projet risquait de les marginaliser davantage dans une arène d’autant plus éloignée de leurs préoccupations.

Une étude historique suggère que les Acadiens du Nouveau-Brunswick auraient facilement pu se rallier au projet de Confédération si les Pères avaient étendu à l’ensemble du pays la notion de dualité nationale. À cette époque, ils revendiquaient déjà des protections similaires à celles offertes aux niveaux fédéral et québécois. Ils étaient familiers avec les enjeux soulevés par les résolutions de Québec.

De plus, la plupart de leurs démarches politiques à cette époque étaient à caractère linguistique plutôt que religieux. C’est surtout avec la crise scolaire de 1871 à 1875 que l’élite cléricale commença à affermir son emprise sur les ambitions des Acadiens.

La vulnérabilité de la minorité francophone du Nouveau-Brunswick au temps de la Confédération fut amplifiée par son manque d’organisation. Elle continuait à élire des députés anglophones, sauf un seul, et ses efforts étaient fragmentés selon les comtés, à l’image des gouvernements de comté principaux responsables des services publics. La seule occasion antérieure où elle put s’exprimer sur un projet d’envergure provinciale fut la création du collège de formation pour les instituteurs des écoles paroissiales, en 1847.

Les Acadiens avaient alors demandé un enseignant compétent dans leur langue puis saisi la chambre (en 1852) des problèmes occasionnés par ce système auprès de leur corps professoral.

Le débat constitutionnel de 1864 à 1867 accentua l’importance d’une représentation provinciale plus efficace et, sans se surprendre, ils commencèrent à élire plus de leurs propres membres par la suite.

Implication et solidarité

En bout de ligne, bien que les Acadiens du Nouveau-Brunswick furent incapables d’influencer les termes de l’union à leur avantage, ils profitèrent de l’événement autrement. Leur implication dans le débat mena à une solidarité qui se manifesta lors des grands événements subséquents.

N’eut été du débat constitutionnel (1864 à 1867), la crise scolaire de 1871 à 1875 n’aurait peut-être pas été aussi intense; n’eut été de la crise scolaire, les loges orangistes n’auraient potentiellement pas vu l’incorporation au Nouveau-Brunswick (1875); n’eut été de l’incorporation des loges orangiste, les conventions nationales (à partir de 1880) et la Société national l’Assomption n’auraient possiblement pas vu le jour à ce moment. La Confédération fut ainsi l’élément charnier de l’affirmation acadienne de la fin du XIXe siècle.

Ainsi, au moment de la Confédération, les Acadiens du Nouveau-Brunswick ont clairement épousé une notion de dualité nationale dépassant les bornes provinciales, cherchant à étendre la portée des protections linguistiques à l’extérieur des seules sphères fédérale et québécoise. Si la dualité appliquée fut fondée sur une approche territoriale, les Acadiens n’abandonnèrent pas pour autant et ils réussirent depuis où ils échouèrent en 1867.

Gaétan Migneault s’intéresse aux questions constitutionnelles. À plusieurs reprises, il a représenté les intérêts de la province du Nouveau-Brunswick aux assises de la Cour suprême.

Cette analyse est la quatrième et dernière d’une série de quatre chroniques en marge d’un colloque qui se tiendra au Campus Saint-Jean en Alberta les 27, 28 et 29 avril. Voici le site : https://www.ualberta.ca/campus-saint-jean/recherche/colloque

Note : Les opinions exprimées dans les chroniques publiées sur #ONfr n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.