Pas touche aux sociétés d’État

Des chercheurs de l'institut C.D. Howe suggèrent de permettre la vente d’alcool dans les dépanneurs et les supermarchés, et non seulement à la LCBO et dans les Beer Store.

TORONTO – Pas touche à la LCBO et à l’OPG. C’est la conclusion préliminaire d’un panel d’experts mandaté par l’Ontario pour revoir le modèle de gestion de trois grandes sociétés d’État provinciales.

FRANÇOIS PIERRE DUFAULT
fpdufault@tfo.org | @fpdufault

Le comité consultatif sur la gestion des biens de l’Ontario recommande de conserver presque intactes la régie provinciale des alcools, la LCBO, et l’agence responsable de la production d’électricité, l’Ontario Power Generation (OPG).

Le panel, avec à sa tête Ed Clark, patron de la Banque TD, recommande aussi de conserver l’agence provinciale de transmission et de distribution d’électricité Hydro One, en y apportant toutefois quelques changements.

« Quand on regarde ces sociétés, il est facile de critiquer leur rendement. Il faut toutefois se demander pourquoi elles performent de cette façon – parce que ce sont des sociétés d’État dans lesquelles la classe politique intervient souvent en réaction aux pressions de groupes d’intérêts. L’intérêt général est souvent sacrifié au profit de l’intérêt individuel », a déclaré M. Clark devant des gens d’affaires de Toronto, le vendredi 17 octobre.

Investir dans l’infrastructure

Le gouvernement libéral de Kathleen Wynne a formé un comité consultatif sur la gestion des biens de l’Ontario, au printemps, pour l’aider à « maximiser la valeur des actifs-clés de la province » et « générer de meilleurs retours », afin de dégager des fonds pour investir dans de nouveaux projets d’infrastructure et de transport en commun.

Certains de ces actifs-clés, comme la LCBO, font depuis longtemps l’objet de rumeurs de privatisation.

Or, le panel d’Ed Clark ne recommande aucune privatisation. Il suggère plutôt, dans le cas de la vente d’alcool, d’ouvrir la porte à une plus grande concurrence. « Concrètement, pouvons-nous faire en sorte que ce monopole public se comporte moins en monopole public », a adressé le banquier à un auditoire un peu étonné.

« Le gouvernement doit soutenir la LCBO », a insisté M. Clark. « C’est de cette façon seulement qu’elle pourra se comporter comme n’importe quel autre grand détaillant et déterminer les prix des produits qu’elle achète et qu’elle vend ».

« Meilleur rendement »

Les libéraux à Queen’s Park ont applaudi les premières conclusions du comité consultatif, particulièrement en ce qui a trait à la LCBO. « Demander un meilleur rendement aux biens publics permet d’assurer leur durabilité et permet aussi à la clientèle de faire des économies », a réagi Mme Wynne dans un communiqué, le 17 octobre.

Les travailleurs de la LCBO ont, eux aussi, accueilli favorablement la recommandation qu’ils demeurent des employés provinciaux. Cette recommandation a « renforcé notre position ferme et de longue date que la LCBO doit demeurer de propriété publique pour le bénéfice de tous les citoyens de l’Ontario », de l’avis de Warren Thomas, président du Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario.

La caisse de bière

Pour améliorer le rendement de la LCBO, sommairement, M. Clark recommande à la société d’État d’utiliser son pouvoir d’achat pour négocier de meilleurs prix avec ses fournisseurs de vins et de spiritueux, ce qu’elle ne fait pas pour l’instant. Il recommande aussi à la régie des alcools d’ajouter des caisses de 12 bouteilles de bière à son offre de produits, afin de concurrencer davantage le Beer Store.

Rappelons qu’à l’heure actuelle, et en vertu de règlements qui datent de l’abolition de la prohibition en 1927, la LCBO ne vend la bière qu’à l’unité ou en paquets de six, alors que le Beer Store, une entreprise privée, a le monopole sur la vente de plus grandes quantités de bière.

« Nous devons moderniser l’entente qui régit les relations entre la LCBO et le Beer Store afin d’offrir une plus grande transparence », a fait valoir Ed Clark, sans toutefois souhaiter la fin du monopole du Beer Store sur les plus grands emballages de bière. « Les brasseries artisanales sont une composante importante de l’industrie. Si le monopole du Beer Store est maintenu, il faut exiger que tous les producteurs aient droit au même traitement », a-t-il seulement signalé.

Les recommandations d’Ed Clark ont fait bondir le consortium Canada’s National Brewers (CNB), qui représente les intérêts du Beer Store.

« C’est une recette pour faire gonfler le prix de la bière », a dénoncé Jeff Newton, président de CNB, à #ONfr. « Les emballages de moins de 24 bouteilles représentent environ 40% de nos ventes. Si ce marché bifurque vers la LCBO où il sera taxé davantage, ça va ajouter de la pression sur le prix de la bière ».

M. Newton a aussi ajouté que 25% de la bière vendue au Beer Store provient de brasseries artisanales et que ces produits constituent « le marché qui connaît la plus forte croissance » au sein de l’entreprise.

Salaires, avantages et retraites

Au chapitre d’OPG, le comité consultatif sur la gestion des biens de l’Ontario ne recommande que des changements cosmétiques, comme la création d’un bureau interne dont le seul mandat serait d’assurer un « suivi minutieux » des travaux de remise en état de la centrale nucléaire de Darlington.

« Il s’agit d’un projet qui comporte d’énormes risques. Les dépassements de coûts peuvent éclipser toutes les économies qui peuvent être réalisées ailleurs dans le système », a prévenu M. Clark.

Du côté d’Hydro One, le panel d’optimisation recommande le maintien des activités de transmission d’électricité, mais argue qu’« il est urgent de renouveler le système de distribution ». Ce système serait « inutilement morcelé et fragmenté », avec plus de 70 distributeurs locaux d’électricité – la plupart de propriété municipale – dont près de la moitié desservent moins de 13 000 clients.

Ed Clark prêche donc une « consolidation » des distributeurs d’électricité à travers l’Ontario, à commencer par deux filiales d’Hydro One; soit Hydro One Brampton – qui dessert exclusivement une municipalité – et Hydro One Networks. Cette consolidation ferait mieux d’être « stimulée » et non « forcée », de l’avis du banquier torontois.

Tant à OPG qu’à Hydro One, le comité consultatif recommande de revoir à la baisse certains salaires, avantages sociaux et régimes de retraite qui seraient « non-viables » sur le long terme.

« Les conventions de travail actuelles ne sont que des conventions. Elles ont été conclues à la table de négociations et devraient être modifiées à la table de négociations », a laissé entendre M. Clark. « Si ces sociétés doivent rester dans le secteur public et poursuivre leur croissance, nous devons aussi chercher à moderniser les pratiques de travail pour améliorer (leur) productivité ».

Le comité consultatif sur la gestion des biens de l’Ontario doit déposer un rapport préliminaire sous peu, soit avant la parution de l’énoncé économique d’automne du gouvernement. Le groupe doit compléter son examen d’ici le printemps prochain, de telle sorte que ses recommandations soient prises en considération dans la préparation du budget 2015-2016 de la province.

Le gouvernement de Kathleen Wynne a promis d’investir 130 milliards $ sur dix ans dans l’infrastructure et les transports de l’Ontario. Une partie de cette somme doit provenir de l’optimisation ou la vente de biens publics.